En vous écrivant sur le discours d'Emma Gonzalez, la semaine dernière, je suis tombé sur un autre discours.
Celui de Nathalie Portman. Un discours du 20 janvier dernier.
Prononcé lors de la marche des femmes pour un peu de dignité planétaire à Los Angeles.
Discours presque complètement passé sous le radar.
Symptomatique de l'espace qu'on choisit d'accorder aux femmes dans l'actualité sociétaire planétaire.
Son discours me reste en tête depuis.
Sur le tournage du film Leon, Nathalie Portman avait 12 ans. Le film parlait, entre autre, d'une jeune fille découvrant sa propre féminité, sa voix et ses désirs. Elle y jouait cette fille. Et le vivait aussi en vrai, en même temps. À 12 ans. Quand le film est sorti, elle en avait 13. Était très fière du film. Jusqu'au courrier de ses fans qui l'on traumatisée. Un de ses écrits était un homme qui fantasmait ouvertement sur l'idée de la violer.
Sa vie a tout de suite été teintée de ce triste fantasme. Elle a compris, à 13 ans, qu'elle serait d'abord un corps pour certains hommes. Et qu'à ses 18 ans, on pourrait ensuite, légalement appliquer le fantasme de ce dégénéré. Portman a ensuite fait des choix de carrière où la sexualité était inexistante des scénarios qu'on lui proposait. Elle refusait même les scripts qui incluaient un simple baiser avec un autre personnage. Elle faisait le choix délibéré d'être reconnue comme prude. Lisant les critiques qui parlaient de ses naissantes courbes, elle a vite compris qu'elle ne serait d'emblée qu'un corps dans cette industrie. Que si, en plus, elle devait présenter ce corps sexuellement à l'écran, ça ouvrirait encore plus la porte aux pervers de tous genres. Et étoufferait sa voix.
Elle s'est présentée prude, sérieuse, intello, dans le but qu'on écoute cette voix, que l'on entende aussi ses propres désirs dans un univers où le terrorisme sexuel restait toujours en marge des plateaux de tournage. Un terrorisme sexuel qui l'a frappée et habitée dès ses 13 ans. Et qui est exposé depuis quelques mois un peu partout.
Le monde qu'elle se tricotait était celui dans lequel elle peut s'habiller comme elle le veut, dire ce qu'elle veut, être ce qu'elle veut et exprimer ses désirs comme elle le souhaite, sans craindre pour sa sécurité physique ou sa réputation.
J'ai déjà eu une ancienne boss, originaire de Toronto, qui me demandait des suggestions de lieux pour habiter Montréal, puisque je connaissais bien la ville. Chaque endroit que je lui proposais, elle me demandait "Yeah, but is it safe?" et la première fois, ça m'avait surpris. Comme ça n'avait jamais été une question d'importance pour moi, la sécurité du quartier ne m'avait pas effleuré l'esprit. Encore aujourd'hui, j'ai l'inconsciente prétention de me planter dans un quartier, qu'au pire, je changerai moi-même de ma présence.
Mais je comprends mieux les peurs féminines depuis. Les craintes. Les inconforts. Je les entends. Et les rationalise. Nous, hommes, devons aussi cheminer dans tout ça.
Et ça, c'est le monde dont rêve Nathalie Portman. Qui n'est pas si loin.
Ce monde serait le monde dans lequel le désir des femmes et leur sexualité pourraient s'exprimer pleinement, est c'est selon moi le monde tout à fait normal dans lequel nous devrions vivre. En tout cas, ici, en Amérique du Nord.
Ce monde est l'opposé du puritanisme.
Nathalie Portman a mis les bons mots sur ce qui se passe depuis un peu plus d'un an. Depuis les révélations autour de Bill Cosby je dirais.
Nous vivons la révolution du désir.
Je vous en parlais encore, justement hier. Sans y mettre les mêmes mots.
L'écho de la voix de Portman devait avoir plus de portée en janvier dernier.
Beaucoup plus de portée.
Et faire oublier celles qui présentent d'abord et avant tout des corps bien avant leur art.
Dua Lipa, Ariana Grande, Fifth Harmony, Iggy Azalea...
Ces artistes sont des appels à l'objectification des corps féminins.