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La Chasse au tigre : Episode n°3

Par Pmazet

La chasse au tigre : Une enquête d'Emile Laplume : Episode n°3

Episode n°3: Pauvre Marcel.

Marcel s'était retenu de courir. Quand on a rien à se reprocher, on marche d'un bon pas alerte, surtout quand les frimas de novembre pointent leur nez et pincent le votre. L'obscurité, qui avait envahi Paris, le rassurait. Personne n'allait remarquer les tâches de sang qui maculaient ses chaussures. Ces souliers ! Il faudrait qu'il s'en débarrasse à la première occasion. Il n'osait pas penser aux empreintes qu'il avait laissées sur le coffre, voire sur les poignées de porte. Sans trop réfléchir, il avait marché jusqu'au pont Saint-Michel. Il était maintenant près de vingt et une heures. La rue de Rennes devait être en émoi. Dans son malheur, il avait eu de la chance. Personne ne l'avait vu sortir de l'immeuble. Toutefois, il avait besoin de reprendre ses esprits. Il entra dans la gargotte la plus sombre de la rue de la Huchette et avala deux verres de gnôle au vague goût d'alcool à brûler. Malgré ses brûlures au gosier, il parvint à réfléchir un peu. Le fourgue n'habitait pas si loin. Il tenait une boutique d'antiquités et de bibeloteries rue des Lombards. Personne ne connaissait son identité véritable. Certains l'appelaient Igor Ivanovitch, d'autres Samuel Benssoussan et certains prétendaient qu'il se nommait Yves Kerdovan. Vu le peu de mot, qu'il prononçait, il était difficile de lui attribuer un accent. D'un geste, il vous faisait signe dans l'arrière boutique. D'un signe de tête, il vous invitait à étaler la marchandise sur une table. Muni d'une loupe de bijoutier, il examinait les pièces en poussant parfois des grognements. Au bout d'une dizaine de minutes, il se redressait, saisissait une ardoise et indiquait le montant. Pas question de discuter, c'était à prendre ou à laisser. Il fallait se méfier, l'individu pouvait juger en quelques secondes la situation du vendeur. Plus la vente lui semblait pressante, plus le prix risquait d'être bas. Pour la flicaille, il n'était pas un inconnu, puisqu'une bonne moitié des monte-en- l'air de Paris utilisait ses services. Bizarrement, personne n'avait songé à l'inquiéter. Sans doute rendait-il des menus et des grands services, mais personne ne s'était retrouvé à la Santé après lui avoir rendu visite. Alors, s'il y allait demain après la sortie des journaux annonçant la mort du notaire, sa camelote ne vaudrait plus trois sous. Il jeta deux pièces sur le comptoir et d'un pas décidé, prit la direction des Halles. Pour ne pas provoquer le destin, il préféra franchir la Seine au Pont Neuf, évitant ainsi de passer devant le palais de justice et le 36 quai des orfèvres. Les mascarons du pont n'avaient pas l'air d'être dérangé par le vent froid qui balayait la Seine. La rue des Lombards ne brillait plus guère et hormis deux gagneuses abritées sous un porche, il n'y avait personne. La boutique d'Igor était plongée dans le noir. Toutefois, au premier étage, une lampe à pétrole, distillait une lumière blafarde. Il n'était guère nombreux à connaître la tanière d'Igor, Marcel en faisait partie. L'escalier était aussi plongé dans le noir. Il sortit son briquet à essence pour assurer son pas. Il toqua discrètement à la porte, une fois, deux fois, puis une troisième fois plus violemment. Dans ses souvenirs, Igor n'était pas sourd ! Il tourna le loquet, puis poussa la porte au trois-quarts. Cette fois, il eut le réflexe de ne pas entrer. Il referma la lourde et dévala les escaliers dans le noir. Décidément ce n'était pas sa journée. Après le notaire et sa femme égorgés, il venait de découvrir Igor se dandinant au bout d'une corde, tel un pantin désarticulé. Dans la rue, les deux boucanières semblaient avoir trouvé leurs caves, il soupira en atteignant le boulevard Sébastopol, mais il avait le sentiment que ce n'était pas le fin fond du Cantal qui allait le sauver.


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