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Lim(b)o #2 | Bruce Ykanji nous parle du Juste Debout, un rêve qui tient…

Publié le 01 mars 2018 par Le Limonadier @LeLimonadier

Voici le retour de Lim(b)o, notre série d'articles consacrés à la danse. Après une première partie où l'on était allé rencontrer des danseurs House, on vous parle aujourd'hui d'un moment phare pour tout passionnés de cultures urbaines.

Le Juste Debout. Un événement tellement spécial que certains inscrivent sa date des mois en avance sur leurs agendas... Une occasion rêvée pour des danseurs des quatre coins du monde de se réunir, de partager et de se " battre " pour le plus grand plaisir des spectateurs passionnés venus les admirer. Ce rendez-vous existe depuis 2002 et n'est jamais décevant : il nous aspire de toute force dans un élan de créativité, de musique et de passion. Si bien que nous avons voulu plonger en apnée dans cet univers transpirant et inspirant de talent.

Du coup, avant d'assister à la finalequi se tiendra à l'Accord Hotel Arena (ancien Paris Bercy) ce dimanche 4 mars, nous sommes allés à la rencontre de Bruce Ykanji, son fondateur, pour en savoir plus sur cette compétition et sa vision de la danse...

On a lu quelque part que tu as découvert le Hip-hop grâce à une vidéo que ton père avait ramené au Cameroun, où tu vivais à l'époque. Est-ce que tu te souviens de ce qui t'a marqué en la regardant ?

Oui, j'avais 8 ans. Et ce qui m'a marqué à l'époque ce n'est pas forcément la musique, car au Cameroun je baignais déjà dedans, mais plutôt les effets que ces danseurs arrivaient à me procurer. Ils étaient fluides et solides, avaient des styles psychédéliques et je n'avais jamais vu ça auparavant. C'était en 1984 quand même...! Donc je retiens surtout leurs styles et leurs effets, ce n'est que plus tard que j'ai découvert qu'ils dansaient sur de l'Electro Funk...

Est-ce que c'est cette vidéo qui t'a donné envie de devenir danseur ? Ou c'est venu sur le tard, avec le temps ?

Je pense que je dansais déjà un peu avant de découvrir cette vidéo. A l'époque on n'envisageait pas de devenir danseur, car aucun ou très peu de danseurs Hip-hop arrivaient à vivre de leur art. C'est après et avec le temps, et surtout une fois que les plus âgés d'entre nous aient ouvert des portes, que nous avons pu accéder au statut de danseur. Ils se sont " sacrifiés " pour nous, et ont dû aller travailler à côté pour vivre. Grand respect à eux...
A l'époque personne n'y croyait vraiment. Nous avons vraiment été les premiers à faire nos pas à la TV, au théâtre... C'était une nouvelle ère. Maintenant le Hip-hop, ou les Street Dance styles sont accessibles, on en voit partout. Et c'est génial.

Quelle était ton idée et ton désir de base lorsque tu as créé le Juste Debout ?

Mon idée de base est toujours ma base :
Partager et échanger les savoirs, les cultures, rencontrer de nouvelles personnes, et ainsi agrandir le network.
Faire évoluer la danse et les danseurs. En relisant les premiers projets c'est vraiment ce but précis qui ressort le plus... Faire évoluer la danse, le danseur, en banlieue (à l'époque Champs sur Marne 77), à Paris, en France, si possible en Europe et dans mes rêves les plus fous dans le monde. Après j'ai eu envie, en voyant l'engouement, de faire de la production, et ça c'est toujours le cas, avec de vrais projets à plus grosse échelle.
Et bien sûr créer une économie, familiale, parallèle et proposer d'autres alternatives, des solutions d'indépendance. Mais surtout faire en sorte que nous puissions créer nos propres projets et les développer encore et toujours, comme ce que nous faisons actuellement.

Depuis les premiers pas du Hip-Hop à maintenant, de nouveaux styles de danse apparaissent régulièrement en s'inspirant, innovant et imaginant l'avenir de cette communauté. Le Juste Debout représente aujourd'hui 5 catégories (Hip-hop, Locking, Popping, House et Expérimental), ainsi qu'un battle Junior. Pourquoi as-tu choisi de représenter plusieurs pratiques ? Souhaiterais-tu en ajouter de nouvelles (comme le Waacking par exemple qui fonctionne bien en battle) ?

Alors, je tiens à préciser que c'est selon moi, sans condescendance et sans vouloir donner de leçons (c'est vraiment mon point de vue, ok?!).

Je trouve que rien de bien nouveau n'est inventé. On reprend, on remasterise, on recommercialise, on met au goût du jour, on renomme, on se réapproprie... Je trouve cela assez dérangeant de vouloir toujours dire qu'on invente, alors qu'on ne fait que reprendre. Mais bon, la nouvelle ère est ainsi faite. Et je ne compte pas m'interposer. C'est juste que... par exemple le Waacking : c'est une danse dérivée du Jazz et des années 70, les danseurs Jazz à l'époque avaient créé une nouvelle mouvance. Ou un autre exemple avec le Turfing, Memphis Joking or Bucking : ces danses s'apparentent à ce que nous dansions à l'époque, le Smurf. Le Ramble des années 2 000 est vraiment similaire au Wop des année 90. Bref... les énergies changent, les musiques changent, les protagonistes changent, mais les danses sont là depuis des millénaires. Restons humbles face à cela. Je sais que mon discours est assez cru, face à une époque où tout le monde se dit inventeur, influenceur, important et que les mots en " ing " font fureurs... Alors moi je dis : connaissez votre histoire, cherchez, redescendez, et rendez à César ce qui lui appartient. L'Afrique aussi (de manière plus modérée) ainsi que d'autres continents ont un gros rôle dans toutes nos danses.

Pour répondre à la question (rire), je n'ajouterai pas de nouveaux styles pour le moment, au contraire j'en retire, car l'event avait besoin de plus de dynamisme. Et je précise que l'expérimental n'est pas un style mais une expérience 🙂

Pourquoi avoir retiré le Dancehall cette année ?

C'est une danse et une culture que je ne connais pas assez. Et j'aime maîtriser ce que je fais ou produis. Et parfois à trop vouloir en faire, on se perd. A trop vouloir faire plaisir, on se perd aussi. J'ai donc décidé, avec l'équipe, de revenir sur un #backtobasics. D'autre part, et là encore certains vont me prendre pour un fou, ou un prude (ainsi soit-il)... Ce n'est pas l'image que je veux donner de la femme. Ni de l'homme noir d'ailleurs. De plus je suis père d'un fils et de deux filles, et sans vouloir juger qui que ce soit, je n'aimerais pas qu'elles fassent du Dancehall (de manière provocatrice) devant 16 000 personnes. Quand je vois certaines vidéos de daggering, je me dis qu'on passe à côté de quelque chose. On nous veut appauvris, sans éducation, sans savoir, ignorants, et la danse est également un bon vecteur pour nous éloigner des vraies choses de la vie. Le respect en fait partie selon moi. Bon, là j'ai pris un cas extrême, mais souvenons-nous d'une chose, il est toujours plus facile de s'amuser que de travailler pour accomplir des choses qui nous élèveront. J'ai donc décidé de ne plus être complice avec cette culture. Attention, j'aime la sensualité, mais révoque la vulgarité. Le Dancehall peut aussi être sensuel, et je kiff certains/aines danseurs/euses ainsi que la musique. On peut aussi retrouver de la sensualité dans certaines danses Hip-hop et africaines, et ça me plait également.

Au niveau des bandes-son pour chaque catégorie, à quoi peut-on s'attendre ?

Cette année l'équipe et moi-même tenons vraiment à ce qu'on revienne sur des classiques, d'antan ou plus actuels. Pour la Funk un bon James, en Hip-hop un bon Busta... Mais il y aura également des sons de cette année : on n'oublie pas la jeunesse !

Lors de battles, on remarque souvent que la foule acclame un danseur lorsqu'il anticipe la musique, ce qui prouve à quel point il est attentif et sensible à la musicalité. Est-ce pour toi un élément important pour gagner un battle ?

La musicalité est une des facettes primordiales nécessaires pour être ou devenir un bon danseur. Donc oui bien sûr c'est très important. Mais il y a tellement d'autres facteurs et critères : le style, la présence, la créativité, la puissance, l'énergie, le relâchement, le flow... C'est énorme à juger. Mais le premier critère qui selon moi est le plus important...c'est vraiment l'émotion. Si l'émotion est là, on peut considérer que le package est complet.

Qui sont rapidement les juges de cette année justement ?

Les juges sont avant tout des personnes hyper humaines. Je les choisis très très attentivement car nous sommes en tournée pendant 3 mois ensemble, et je fais en sorte en tant que directeur artistique que ces derniers soient ensemble dans tous les sens du terme. Sans ça, pas d'alchimie, et sans alchimie, le tour est pourri et ça jugera mal...
Bien sûr, qu'en plus de cela, ils sont connus et reconnus par leurs paires dans le milieu et qu'ils assurent vraiment en danse et en jugement.

Nous avons interviewé des danseurs House il y a quelque mois, afin de savoir pourquoi on en croisait si peu en club, alors que cette danse est justement née dans cet univers nocturne. Apparemment ce serait une question de génération. Es-tu d'accord avec cette supposition ?

Alors, malgré le roman que j'ai raconté plus haut sur l'histoire (rire), je ne suis pas du genre à dire que la danse c'était mieux avant. Certains anciens nous saoulent aussi avec ça. La danse c'est personnel. Le plus important c'est d'être en phase avec soi-même, de ne pas faire pour plaire et d'être heureux dans nos choix. J'ai beaucoup dansé en club plus jeune, mais maintenant moins. Je me suis également beaucoup entraîné seul, dans ma chambre, ou mon salon, à avoir des frissons sur un son. Donc, moi je dis, arrêtons de juger, avançons, et surtout que chacun vit la danse comme il l'entend. Les jeunes vivent des choses que nous ne vivrons jamais et vice versa, il faut l'accepter.
Pour les clubs, il n'y a pas que la différence de génération, il y a aussi les sous, ou encore le fait que des gens ne veulent plus que les danseurs transpirent dans des clubs, ou prennent trop de place... Et puis c'est aussi une question de business, ça a changé, les gérants de clubs veulent faire boire, alors que nous voulons kiffer et danser.

Que penses-tu de l'évolution du Hip-hop ? Est-ce que le fait que ça soit un peu devenu la musique la plus écoutée et vendue a un impact sur la pratique de la danse ?

Oui il y a a boire et à manger. Donc c'est bien, et ça peut être aussi des fois cliché, mais bon encore une fois... soyons heureux ! Pour ma part, je ne comprends pas l'engouement pour certains artistes actuels français ou US. Ils manquent selon moi de flow, mais ils ont des fans, donc, c'est que quelque part il y a du talent. Mais bon pour certains je ne le vois vraiment pas. Désolé haha !

Tu peux nous en dire un peu plus sur tes goûts musicaux ? Quelles sont les vibes que tu préfères pour danser ?

Alors là j'aime vraiment mais vraiment de tout, et je peux danser sur tout SAUF du métal...hahahaha. Jazz, Hip-hop, Funk, House, Techno, musique Classique, musique Africaine. De tout. Quelques références : Detroit Experiment, Africando, A Tribe Called Quest, Roy Hargrove, Miles Davis, Kery James, Steel Pulse, Omar, Anderson Paak, Travis Scott ... Mes goûts sont très éclectiques donc je ne peux pas répondre plus précisément.

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu aux jeunes qui comme toi étant petit découvrent le Hip-hop et cette culture, et qui aimeraient s'y mettre ?

Amusez-vous au début ! Si vous voulez en faire votre métier, sachez quand-même que c'est un métier magnifique mais très très ingrat et qu'il faut vraiment, dans la masse de danseurs qui arrivent, faire la différence. Il faudra également travailler TRES TRES DUR : la danse est très difficile, mais si vous aimez cela, vous ne souffrirez pas dans la souffrance. Et bien sûr être hypra professionnel, ponctuel, positionné, poli et savoir mettre son égo de côté pour le projet ou le chorégraphe qu'on a en face de soi. Voilà voilà...

La question du Limo : si tu étais une boisson/cocktail tu serais quoi ? Et pourquoi ?

Jus de mangue, Cameroun oblige, le pays des meilleures mangues au Monde. Je sais que beaucoup vont pester mais... c'est vrai. Mais avant le jus, je serais de l'eau, car un danseur se doit d'être fluide en toutes circonstances !

Merci beaucoup Bruce pour avoir pris le temps de répondre à nos questions avec autant d'engouement, et on te dit à dimanche !

Merci à vous le Limonadier.

Pour en savoir (encore) plus sur le Juste Debout, .

Pour checker les cours de danse au Juste Debout School, c'est par là.

Et pour tenter de gagner des places pour la finale de dimanche, suivez-nous !


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