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Allons dîner en ville

Publié le 11 mars 2018 par Morduedetheatre @_MDT_

Allons dîner en ville

Critique de Dîner en ville, de Christine Angot, vu le 8 mars 2018 au Théâtre de la Colline
Avec Emmanuelle Bercot, Valérie de Dietrich, Noémie Develay‑Ressiguier ou Julie Pilod, Jean‑Pierre Malo et Djibril Pavadé, dans une mise en scène de Richard Brunel

On ne m’attendait pas à un tel spectacle ; j’en ai étonné plus d’un en réservant pour cette pièce, et moi la première. Je n’aime pas spécialement Christine Angot, et le personnage qu’elle représente médiatiquement me débecte particulièrement. Mais je ne connais pas du tout l’auteur. Après tout, il ne faut pas mourir idiot : je ne pourrai cerner entièrement la personne qu’en découvrant cet aspect-là de sa personnalité. Sans grande attente, je me suis donc rendue à La Colline pour son Dîner en ville, persuadée que j’allais y somnoler rapidement. Ce fut tout le contraire.

Christine Angot, lorsqu’elle est venue parler de sa pièce lors de la présentation de saison, s’est contentée de ces mots : « c’est un dîner en ville, donc ce sont des gens qui parlent. C’est tout ». On pourrait y déceler une pointe de supériorité, ce sentiment étrange qui émane toujours de l’autrice, comme une éternelle incomprise, comme si le seul dialogue possible entre elle et nous étaient ses mots. Énervants tout d’abord, ces quelques mots jetés sans grande considération, et finalement tout à fait justifiés : parler d’autre chose dans cette pièce, là serait l’arrogance. Un dîner en ville, donc. Une soirée mondaine organisée par Régis, producteur ouvertement homosexuel, à laquelle il a invité Cécile, comédienne de renom venue avec son compagnon Stéphane, noir, ingénieur du son au chômage, autour de qui gravitent Marie, chirurgien pour qui les codes sociaux ne semblent pas toujours acquis, et Florence, directrice d’un petit théâtre subventionné en quête de grandeur.

Que me restera-t-il de ce spectacle ? Une atmosphère surtout. Je ne sais pas si Angot accuse ou si elle juge, j’ai plutôt l’impression qu’elle se fait rapporteur d’une réalité qu’elle observe. On est dans son milieu, là, un milieu artistique assumé avec ses petites hypocrisies et ses codes à respecter. Néanmoins, même nous, personnes lambda, pouvons nous retrouver dans ces dialogues qui, s’ils sont quotidiens, sont loins d’être vides. Au contraire, ils sont ce tout empli de trous d’air qui nous environne constamment. Elle est réellement parvenue à saisir des échanges dont émanent à la fois une nécessité de plaire et de paraître, une éternelle quête de la bonne place, un refus de s’imposer tel que l’on est. On se surprend à être emporté par ses dialogues, incisifs, mordants, étonnamment captivants.

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Seul reproche que l’on pourrait faire au texte – mais peut-être est-ce parce que je suis très régulièrement les propos de Christine Angot dans les medias et commence à bien connaître son style – on entend parfois l’autrice par-dessus les dialogues. Particulièrement lorsque les sujets abordés deviennent réellement consistants, comme lorsqu’un débat politique prend place sur le plateau, on l’entend penser et cela jure avec le flou artistique qui régnait jusque-là dans les discussions. Elle réussit bien mieux dans les dialogues plus communs, où la valeur n’est plus mise sur les mots mais bien plus sur le jugement et la qualité qui en ressortent.

Je ne pensais pas dire cela un jour – mais tout arrive : enfin une utilisation intelligente de la forme par tableaux. Habituellement, ce format a tendance à m’énerver, témoin d’une échappatoire face à la difficulté de ce que j’appellerais le « plan séquence théâtral ». L’histoire linéaire se perd au profit de l’ellipse de facilité. Mais ici, enfin, le rythme saccadé instauré par les tableaux de Richard Brunel sied à merveille, pendant visuel des discussions parfois décousues qui se donnent sur scène. De manière générale, la mise en scène est excellente, parvenant avec beaucoup de simplicité à rendre les tensions et les rapports de force qui s’établissent au fil de la pièce, puisant sa force dans le sens et le placement plutôt que dans les mots.

On saluera également la direction d’acteurs de Richard Brunel, qui enferme habilement chaque personnage dans son cliché tout en laissant une ouverture au doute, petite marge d’évolution ou de rébellion accessible à chacun et qu’il utilisera à plus ou moins bon escient. En tête de la distribution, Emmanuelle Bercot est une Cécile dont la banalité jure avec la personnalité qu’elle représente. Touchée au coeur par une maladresse lâchée en début de pièce, le personnage qu’on sent blessée finira par exploser dans une scène orageuse. En face d’elle, Valérie de Dietrich, chirurgienne semblant dépassée par les mondanités qui se déroulent sous ses yeux, est parfaite de classe et d’humanité. Mention spéciale enfin à Jean‑Pierre Malo, irrésistible Régis à l’hyperbole facile, et aux allures à la fois hilarantes et traumatisantes.

Une belle surprise. 

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