Tu vois, je suis là, à Rome. Depuis le début de mon périple, je t’envoie des photos de moi, et de mon voyage, en mode selfie. D’habitude, je souris, comme si j’avais à coeur de te laisser croire que je suis heureuse. Mais là, assise sur le bord de cette fontaine, il me prend un immense découragement. Je n’y crois plus. Je voulais que tu sois fier de moi, que tu vois que j’avais des projets, des envies, des réussites. Et plus je gigote, plus je me démène, moins cela fonctionne. Tu réponds très froidement à mes messages, quand même tu daignes me répondre d’ailleurs. Il est ardu le chemin vers ton coeur. Et qu’est-ce qu’il m’a pris aussi, d’y croire autant, de m’investir comme ça dans une relation vouée dès le départ à l’échec ? Tu étais beau, tu étais intelligent, tu étais marié, tu étais inaccessible. Mais peu importe car c’est comme frère que je t’ai voulu tout de suite. L’amitié, j’y croyais dur comme fer. Ai-je été claire avec mes émotions ? Est-ce que je te connaissais vraiment ? Tu t’es révélé d’une dureté étonnante au fil de nos conversations. C’est vrai qu’au départ j’étais l’étudiante, et tu étais le maître. Mais tu répondais avec entrain à mes mails, plusieurs fois par semaine, très tard le soir, quand sans doute chez toi, dans ta maison, tout avait déjà basculé dans le sommeil. Nous avions cette heure à nous, juste avant minuit. Et si je fermais les yeux très vite, ta réponse m’attendait au réveil. J’aimais ça, ne pas être seule, ta présence dans ma vie, même virtuelle… Et puis, tout a basculé, tu as fermé les portes brutalement. Sans doute étais-tu allé trop loin ? Ou moi ? Nous ne parlions pourtant bien souvent que de littérature. Conversations innocentes, mais auxquelles je me suis mise à tenir de plus en plus. Je me souviens de ce jour où tu m’as reçu pour ma thèse, et où tes yeux m’ont fui tout au long de l’entretien, pour la première fois. Le début de la blessure. Après, tu as espacé nos rencontres et tes réponses à mes mails. Et je crois que j’ai souffert. On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va, disait Prévert. Et c’est un véritable tintamarre, ta fuite. Là tu vois, je suis à Rome, et je ne souris pas, même si le voyage est bon, et que mon amie Lucie fait tout pour le rendre agréable. Je vais t’envoyer cette photo, mais ce sera la dernière. Sans doute vas-tu me répondre ton laconique profite-bien qui me met en rogne et provoque chez mon amie le même haussement d’épaules qui signifie laisse tomber. Allez, je mérite de penser moins à toi. N’est-ce pas Lucie ? Et puis, allons chercher cette fameuse glace dont nous rêvons depuis tout à l’heure.
Un texte écrit hier soir, sur le fil, pour l’atelier d’écriture de Leiloona…
…inspiré par mes dernières lectures, mais aussi par cette mini-série vue sur Arte ce week-end, Sous influence.
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