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José Ángel Valente – Ode à la solitude

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

José Ángel Valente – Ode à la solitudeAh solitude,
ma vieille, ma seule compagne
salut.

Ecoute-moi maintenant que
l’amour
comme par noire magie de la main gauche
est tombé de son ciel,
chaque fois plus radieux, pareil à une pluie
d’oiseaux brûlés,
battu jusqu’au brisement, et tous ses os
à la fin furent brisés,
pour une déesse adverse et jaune.

Et toi, ô mon âme,
prends en compte, médite le nombre de fois
que nous avons péché en vain contre personne
et une fois de plus nous fûmes ici jugés,
une fois de plus, ô dieu, sur le banc
de l’infidélité et de l’irrévérence.

Ainsi donc, prends en compte, ô mon âme,
prends-toi en compte, ô mon âme,
pour qu’un jour tu sois pardonnée,
pendant qu’en cet instant tu écoutes impassible
ou détachée enfin
de ta mortelle misère
la cascade infinie
de la sonate opus
cent vingt-six
de Mozart
qui efface dans une si étrange
suspension des temps
l’image successive de ta faute.

Ah solitude,
solitude mon amie, lave-moi, comme celui qui naît, dans tes eaux lustrales,
que je puisse te rencontrer,
et, te donnant la main, descendre,
plonger dans cette nuit,
dans cette nuit, à présent, dans cette nuit septuple du sanglot,
à travers les sept cercles eux-mêmes qui gardent
au cœur de l’air
ton enceinte scellée.

*

Oda a la soledad

Ah soledad,
mi vieja y sola compañera,
salud.

Escúchame tú ahora
cuando el amor
como por negra magia de la mano izquierda
cayó desde su cielo,
cada vez más radiante, igual que lluvia
de pájaros quemados, apaleado hasta el quebranto,
y quebrantaron
al fin todos sus huesos,
por una diosa adversa y amarilla.

Y tú, oh alma,
considera o medita cuántas veces
hemos pecado en vano contra nadie
y una vez más aquí fuimos juzgados,
una vez más, oh dios, en el banquillo
de la infidelidad y las irreverencias.

Así pues, considera,
considérate, oh alma,
para que un día seas perdonada,
mientras ahora escuchas impasible
o desasida al cabo
de tu mortal miseria
la caída infinita
de la sonata opus
ciento veintiséis
de Mozart
que apaga en tan insólita
suspensión de los tiempos
la sucesiva imagen de tu culpa.

Ah soledad,
mi soledad amiga, lávame,
como a quien nace, en tus aguas australes
y pueda yo encontrarte,
descender de tu mano,
bajar en esta noche,
en esta noche séptuple del llanto,
los mismos siete círculos que guardan
en el centro del aire
tu recinto sellado.

***

José Ángel Valente (1929-2000)Trois leçons de ténèbres

(Poésie/Gallimard, 1998) – Traduit de l’espagnol par Jacques Ancet.


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