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Katherine Mansfield / Virginia Woolf

Par Ellettres @Ellettres

Résultat de recherche d'images pour Depuis quelque temps, mes séances de ménage sont devenues carrément plus tolérables, depuis que j’ai découvert les podcasts de France Culture. Oui, oui, je m’imprègne de la désobéissance civile de Thoreau tout en astiquant la robinetterie de ma salle de bain, je m’initie à la sexualité dans la Grèce ancienne pendant que je prépare la soupe du soir, et je navigue sur le rivage des Syrtes en ramant avec mon fer à repasser…

Mais je ne tiens pas à faire ici le panégyrique de cette honorable radio du service public. Je veux vous parler d’un podcast de France Q seulement, qui s’appelle tout simplement… « Littérature ». Il s’agit d’oeuvres littéraires lues et interprétées par des comédiens. Il y a de tout. Il faut absolument écouter Madame Bovary : le chef d’oeuvre de Flaubert est restitué à la perfection par la voix profonde du narrateur, le ton des différents personnages, marquant chacun leur personnalité bien particulière (j’adore Homais), et les bruitages (on entend même les airs d’opéra qui émeuvent tant Emma à Rouen, juste avant qu’elle ne retrouve Léon, et cette symbiose entre la littérature et son objet musical est incroyablement grisante). J’ai aussi écouté Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot, bien mis en scène aussi, même si on s’y perd un peu avec tous les personnages. Il y a des oeuvres plus contemporaines aussi, que je n’ai pas encore testées.

Plus récemment j’ai écouté deux nouvelles de Katherine Mansfield, lues par Michael Lonsdale (une archive INA de 1981) : « Psychologie » et « Le baron » ; et deux nouvelles de Virginia Woolf lues par la voix cristalline d’Emmanuelle Riva (pareil, une archive INA de 1973) : « La mort de la phalène » et « La dame au miroir ». J’ai été diversement émue par l’écoute de ces interprétations, au point que d’écouter au lieu de lire change ma perception des oeuvres littéraires.

J’ai l’habitude de me considérer comme une pure visuelle et en tant qu’élève, je passais souvent mes cours à griffonner dans les marges de mes cahiers, ou à lire le manuel à défaut d’écouter le prof. Mais là, par la grâce d’une activité répétitive et monotone, les voix exercées des comédiens se fraient une voie dans mon cerveau prêt à les accueillir. Je saisis au vol des phrases et des expressions qui me frappent, à défaut de retenir tous les détails, et j’ai l’impression de ressentir ce que l’auteur a voulu transcrire par des mots, plus que si j’avais eu ces mots en face des yeux.

Katherine Mansfield / Virginia Woolf
Carl Herpfer, La lettre d’amour

Dans « La dame au miroir », Woolf dit à un moment d’Isabella qu' »elle était une de ces personnes qui emprisonnent leur pensée dans un nuage de silence ». Et je m’y suis attardée, j’ai compris quelle sorte de personne jalousement repliée sur son jardin secret était Isabella, que Virginia Woolf cherchait à nous décrire par l’intermédiaire du miroir… Cette nouvelle est fabuleuse et je pense que je la relirai, avec les yeux cette fois. Surtout avec cet incipit si aguichant : « On ne devrait pas davantage laisser les miroirs accrochés aux murs qu’on ne laisse traîner son carnet de chèques ou des lettres avouant d’odieux forfaits… »

Dans « Psychologie », Katherine Mansfield relate le moment précis où une amitié très sincère entre un homme et une femme, tous deux écrivains, tous deux la trentaine, est sur le point de basculer vers autre chose, à l’occasion d’un thé pris dans le salon de la femme. Les ajustements, la gêne, les dissonances psychologiques, les mots qui masquent les pensées, les gestes qui trahissent un sentiment nouveau mais rejeté dans le vague, tout cela est suggéré par petites touches, qui se corrigent l’une l’autre comme dans un tableau impressionniste, lues de manière pratiquement essoufflée par un Michael Lonsdale au sommet de son art. Je retiens l’expression d' »esprits capitonnés » pour jeter l’anathème sur les prochains Verdurin (oui, je suis en plein dans la Recherche en ce moment) que je croiserai.

Image associée
S.C. Giraud, La véranda de la princesse Mathilde

« Le baron » est une nouvelle toute différente, une pirouette d’humour anglais qui se gausse de graves Prussiens. La narratrice, une Anglaise, est en vacances dans une pension allemande qui gravite autour du personnage austère et coi d’un baron que tout le monde rêve de faire parler pour faire rejaillir sur soi une goutte de son prestige social.

Enfin, « La mort de la phalène » de Woolf m’a beaucoup touchée. Et pourtant il ne s’agit que d’une simple phalène, une bestiole bien insignifiante en apparence, dont l’existence se résume à batifoler d’un bout à l’autre d’un carreau de fenêtre. Un être voué au néant dont tout le monde se fout… sauf Virginia qui la fait accéder au statut d’icône existentielle bouleversante dans sa simplicité et son dénuement. Une nouvelle que je garderai précieusement au fond de moi comme un petit éclat d’or. Et la prochaine fois que j’observe un insecte, je penserai à elle, à l’art qui transforme le plomb en or, à l’univers et à tous les êtres qui l’animent… et je danserai nue sous la pluie (LOL).


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