Quand tu finis en position latérale de sécurité et en état de crise d’angoisse, tu te dis que Xavier Legrand a réussi quelque chose de singulier avec son premier long-métrage, Jusqu’à la garde. Tiré d’un court, Avant que de tout perdre, pour lequel il avait remporté un César, Xavier Legrand poursuit l’exercice avec un talent de mise en scène d’une telle intelligence qu’il semble inné. Avec une absence de manichéisme totale, et un traitement loin de la platitude habituelle qu’on nous sert régulièrement dans le genre, Jusqu’à la garde aborde le divorce et les violences conjugales sous un angle inédit.
En plein divorce, Miriam et Antoine Besson se disputent la garde de leur fils cadet. Sauf que Julien, le fils, n’a aucune envie de passer un week-end sur deux avec son père. Il préfère rester aux côtés de sa mère et de sa grande sœur, qui feraient tout pour s’éloigner au plus possible d’un homme qui semble avoir détruit leur vie. La juge en décide autrement, et le jeune garçon va se retrouver, malgré lui, au cœur d’un conflit permanent entre sa mère et son père.
L’horreur est réelle. D’abord installée dans un palais de justice, elle s’immisce tout doucement, insidieusement, face à la caméra. Xavier Legrand n’adopte pas immédiatement le point de vue classique que l’on pourrait prêter à une histoire de cette envergure. Non, il laisse d’abord et longuement planer le doute. Il donne la parole aux avocats puis à la juge du couple, le temps d’installer le malaise chez le spectateur qui, au bout de cinq minutes, ne sait déjà plus sur quel pied danser. On ne saura rien de ce qui s’est passé avant que Miriam et Antoine ne se retrouvent en instance de divorce. Le réalisateur ne donne accès qu’à des bribes à travers les mimiques de ses comédiens, mais encore des gestes tendus et des dialogues remplis de non-dits. Le sujet est grave, le traitement se doit et choisit de l’être. Chaque moment atteint un nouveau seuil où l’oxygène se fait de plus en plus rare tel un étau qui se resserre. On espère trouver un temps d’apaisement, un moment de joie, mais non le cauchemar nous rattrape toujours. Il s’inscrit clairement sur le visage de Léa Drucker, blafarde, plombée jusqu’à l’épuisement de la situation. Impassible devant son jeune garçon qui doit affronter un week-end sur deux un calvaire de plus en plus pesant. Le rituel est tellement puissant à l’image que l’enfant semble partir au bagne à chaque retrouvaille avec son père. Legrand fait preuve d’une rigueur absolue dans l’utilisation de son hors-champ. Il laisse planer l’ombre du père à chaque instant, inspirant une méfiance de tous les instants chez son spectateur. La présence massive de Denis Ménochet ajoute une lourdeur supplémentaire à cette menace constante. Tapi dans l’ombre, il encercle chaque faits et gestes de son ex-compagne et de ses deux enfants. Tel un ogre, il absorbe tout sur son passage. Xavier Legrand n’a pas besoin des mots pour faire ressentir la douleur et la souffrance de son histoire. Il joue tout sur les silences et les regards pour nous faire vivre le calvaire. L’idée atteint son paroxysme lors d’une séquence poignante à l’anniversaire de la fille aînée. Puis vient le moment de perdre littéralement les pédales face à un final tendu comme un arc. La sensation extrême éprouvée lors de la séquence finale nous laisse scotché, tremblant et accroché à son siège. Le goût de l’effroi, à jamais, dans la bouche.
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