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...et à Edimbourg - 44

Publié le 26 mars 2018 par Detoursdesmondes
Facing-see


À la suite du musée de Glasgow, qu’en est-il de la capitale écossaise ? Pourquoi y aurait-il des objets des voyages de Cook conservés à Edimbourg ? La première idée est bien sûr de rechercher les ressortissants écossais parmi les équipages... auraient-ils rapporté quelques artefacts au pays ?
J'ai déjà écrit sur ce sujet, mais je le reprends ici dans le cadre des séries "collections Cook".
Les deux plus célèbres Écossais des expéditions Cook sont sans nul doute les deux artistes du premier voyage, Alexandre Buchan et Sydney Parkinson. Mais tous les deux ne revirent leur terre natale : Buchan mourut d'épilepsie avant d'arriver à Tahiti et Parkinson fut l'un des ceux que Batavia emportât dans ses fièvres meurtrières.
On sait que Parkinson réservait des objets à Jane Gomeldon (1) qui ne les reçut probablement jamais, bien qu’une lettre (2) écrite de Batavia le 6 octobre 1770 stipule qu’il a bien mis de côté des « curios » pour le museum de sa cousine. On a longtemps cru que Joseph Banks s’était approprié ces objets mais rien n’est moins sûr car le frère de Parkinson les a réclamés. Néanmoins il n’en existe aucune trace dans l’héritage de Gomeldon... Si les objets sont restés aux mains de Banks ou aux mains du frère, Stanfield Parkinson, ou encore dans celles de John Fothergill qui s’est occupé de ce litige entre Banks et Parkinson, que sont-ils devenus ? Sont-ils en Ecosse ?

A.UC.830-maori-anderson

Dans les autres expéditions Cook, y aurait-il d’autres hommes ayant des attaches avec Edimbourg ?
Il en est un effectivement : William Anderson, le chirurgien des second et troisième voyages, qui avait suivi des études dans l'université écossaise. Lors du troisième voyage, on sait qu'une partie des objets d'Anderson fut offerte au gouverneur du Kamchatka d'où l'existence d'un fonds " Cook" à Leningrad (3), mais certains furent donnés à Edimbourg. Avant cela et peu de temps après son retour de la seconde expédition, Anderson a dû contacter son professeur d'anatomie d’Edimbourg car on trouve trace de son passage et de son don au museum d'histoire naturelle de l'université en août 1775, mais sans aucune précision quant à la nature des objets donnés.
Mais en 1780, la chaire d’histoire naturelle de l’université est occupée par le Révérend John Walker qui entreprend un inventaire de la collection du museum et qui signale l’existence de quatre boites dont deux d’entre elles contiennent des articles de Tahiti pour la première et des articles des mers du Sud pour la seconde. On possède avec bonheur quelques précisions quant à la nature des artefacts (4). Il s’agissait d’un peu plus de 44 objets.

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La collection Anderson à Edimbourg ne s’arrête pas là. En effet, de nouveau à bord de la Resolution pour la troisième expédition, Anderson reprit ses collectes et notamment à Hawaii, archipel qu’il découvrait pour la première fois. On sait qu’il mourut en août 1779 après avoir écrit le 21 juillet qu’il laissait ses naturalia à Banks. Les curiosités artificielles devaient donc probablement revenir à sa famille. La suite est plus confuse car on s’attendrait à une donation de la famille d’Anderson dans les années 1780 faite à la Royal Society of Edinburgh puis au museum, mais il n’en est rien ; il existe par contre une donation d’un certain Lord Daer. Existe-t-il un lien entre Daer et Anderson ?
Les objets que John Walker consigne en 1783 forment deux ensembles rassemblés sous l’intitulé « By the Right Honourable Lord Daer » : Il s’agit d’une part de l’ensemble nommé « A collection of Indian Arms, Apparel and Ustensils, from the South Seas ; made during Captain Cook’s last voyage. N°.103 – 77. », d’autre part, de « A collection of Indian Arms, Apparel and Ustensils, and of Natural Productions, made in the South Sea islands, and on the west coast of America, by Mr Anderson, Surgeon to Captain Cook. N°178.-274 ». Pourquoi cette différence de traitement ? D. Idiens & Ch. Knowles(5) suggèrent que Sir Daer a peut-être acheté le premier ensemble à la famille d’Anderson et qu’il l’a présenté par conséquent sous son propre nom, alors que le second ensemble aurait été une donation de la famille par son intermédiaire. L’ ensemble de la collection « Daer » donné à The Royal Society of Edinburgh comportait 172 objets.
A.1956.1008Pringle

Il existe une autre source d’apports d’objets « Cook » à Edimbourg : John Pringle, un médecin écossais, président de la Royal Society de 1772 à 1778, et qui connaissait Cook car ce dernier lui avait écrit sur le sujet de la prévention du scorbut. Il se trouve de plus que le père de James Cook avait dû travailler dans l’une des propriétés des Pringle lorsqu’il était jeune, étant originaire d’Ecosse.
D. Idiens & Ch. Knowles font l’hypothèse qu’Elisabeth Cook a offert (vendu ?) des objets du troisième voyage ayant appartenu à son mari, alors décédé, à Pringle. Celui-ci en a fait don à The Society of Antiquaries of Scotland en juillet 1781. Cela concernait 57 objets.
Enfin, il existe encore une donation de huit objets en 1787 de la part d’un autre Ecossais, Andrew Graham, une personnalité intéressante car il fut agent de la Hudson’s Bay Company mais aussi un naturaliste éminent. Il faisait collection de spécimens d’histoire naturelle, notamment des oiseaux, et à ce titre il fut en relation avec Johann Reinhold Forster dès les années 70 auquel il adressait des individus. Il revint s’installer à Edimbourg en 1775. Il fit don à la Royal Society d’objets provenant bien sûr d’Amérique du Nord, des artefacts inuits et indiens, mais parmi eux il y avait huit objets issus du troisième voyage dont un seul (un morceau de corde maorie A.UC.504) est identifié dans les collections du musée d’Edimbourg.
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Il faut ensuite attendre 1860 pour voir mentionner de nouveau les objets ethnographiques, date à laquelle les collections du museum d'histoire naturelle sont transférées au New Industrial Museum of Scotland et sont déjà affectées d'un numéro UC pour University Collection. En 1951, le Royal Scottish Museum qui est maintenant le National Museum of Scotland reçoit tous les objets des Mers du Sud. De nos jours, sur tout cet ensemble considérable qui est décrit ici, seuls 45 objets sont « estampillés » voyages de Cook ! Un travail de recherche s’impose là aussi pour aller plus loin dans ces enquêtes…
La présentation des vitrines du musée d’Edimbourg reflète un intérêt muséographique moderne se détachant de celui d’une exposition chronologique qui aurait simplement mis en évidence les objets du 18ème siècle.
A.UC.353

Comme le nom de la pièce principale l’indique (Facing the sea), celle-ci présente les objets des mers du sud comme témoins des différentes sortes de voyages à des époques diverses, des découvertes, du commerce, des échanges… Ainsi, s’il existe une vitrine qui semble dédiée à James Cook (photo 1), comportant l’horloge qui était à bord de l’Endeavour pour le premier voyage, objet important puisqu’il s’agissait d’effectuer la mesure du transit de Vénus, le reste des objets composant cette vitrine n’est pas spécialement issu des expéditions Cook…
Un panier, une corde et une flute des Tonga, une fronde des Marquises rapportés lors des voyages de Cook côtoient des objets collectés un siècle plus tard par Colin Dundas officier à bord du HMS Topaze qui accosta à l’île de Pâques en 1868 ou encore des bols, des kapkap, brassards, armes et flèches des îles de l’Amirauté rapportés par le HMS Challenger en 1872.
A.1950.230-hawaiiOn trouve encore une impressionnante effigie d’Hawaii (A.1950.230) dans une autre vitrine. Celle-ci a été collectée lors du troisième voyage, preuve fournie par A. Kaeppler en la comparant à un dessin de Sarah Stone (Leverian Museum) et ayant appartenu au collectionneur Harry Beasley. C’est sa veuve qui en fit don(6) au musée d’Edimbourg en 1950. Un objet qui n’a donc rien à voir avec les donations de la fin du dix-huitième siècle…
Ailleurs encore, dans la partie du musée consacrée à l’histoire de l’Ecosse, on découvre un magnifique Taumi (A 1956.1025) de Tahiti donné par la veuve de Cook à John Pringle.
Bref, dans ce jeu de pistes que l’on poursuit lors de la visite de cet incroyable musée on ne peut que songer à la complexité de celui qui se jouerait si l’on avait la possibilité d’enquêter dans les réserves…
A1956.1025

La source principale de cette note est : Idiens D. & Knowles Ch., 2015,« Cook-Voyage Collections in Edinburgh, 1775-2011 » in Coote J.(Ed.), 2015, Cook-Voyage Collections of "Artificial Curiosities" in Britain and Ireland, 1771-2015.

Notes :
1. Cf. Chp 5, Jane Gomeldon était la cousine de Parkinson, une écrivaine qui avait souhaité partir sur l’Endeavour.
2. Cf. Jessop L., 2015, « Cook-Voyage collections in North-East England, with a preliminary report on a group of Maori pendants apparently traceable to the first voyage ».
3. Cf. article 37.
4. Idiens D. & Knowles Ch., 2015,« Cook-Voyage Collections in Edinburgh, 1775-2011 » reproduisent la liste des objets donnés par Anderson à la suite du deuxième voyage : p. 194-196.
5. Ibid. p. 199
6. in Hooper St., 2008, Polynésie. Arts et Divinités 1760-1860. Ed. musée du Quai Branly & RMN. P. 93
Photo 1 : Vitrine de la galerie « Facing the sea » au National Museum Scotland, Edinburgh, photo de l’auteure 2017.
Photo 2 : Cape maorie, A.UC.830 © National Museum Scotland, Edinburgh.
Photo 3 : Tapa, Hawaii, A.UC.406 © National Museum Scotland, Edinburgh.
Photo 4 : Flûte, Tonga, A.1956.1008 © National Museum Scotland, Edinburgh.
Photo 5 : Kahili, Hawaii, A.UC.370 © National Museum Scotland, Edinburgh.
Photo 6 : Fronde, Marquises, A.UC.353 © National Museum Scotland, Edinburgh.
Photo 7 : Figure, Hawaii, A.1950.230 © National Museum Scotland, Edinburgh.
Photo 8 : Taumi, Tahiti, A.1956.1025 © National Museum Scotland, Edinburgh.

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