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(Carte blanche) à Catherine Zittoun : "Serge Pey et la boîte aux lettres du cimetière"

Par Florence Trocmé

Serge Pey SPBLC-affiche40x60_2 (1) (002)Avec « La boîte aux lettres du cimetière » Francis Fourcou nous fait don d’un grand film, dans les pas de Serge Pey sur les chemins vers Collioure. Chamane- poète, Serge Pey agite les lettres cosmiques. De Toulouse à Collioure, sur les chemins de halage, les cimes, les plages, les villages en nids d’aigles, cette marche de la poésie convoque vents, tonnerre et tempêtes, démons climatiques, soleil à lame d’acier. Peut-il en être autrement quand on parle à l’au-delà des temps comme au poète Antonio Machado, mort en 1939 à Collioure aux portes de l’Espagne ? Les éléments demeurent-ils de pierre quand nos mots s’adressent à nos morts sur les lieux de leur vivance ? Et les éléments s’ébranlent d’autant qu’on est sur des points à forte résonance sismique, des points de convergence : par l’entremise d’Antonio Machado, Serge Pey parle à son père du destin de républicains espagnols, parqués et mourant dans ce camp sur la plage d’Argelès, sur cette plage que Pey et Chiarra Mullas jalonnent de bâtons plantés dans le sable, comme une tombe et un kaddish pour ce père qui porte la révolution. Car elle n’est pas épuisée, dit Serge Pey, au pied de la forteresse de Peyrepertuse sur une crête calcaire entre vigne et garrigue. Ils disent que la révolution espagnole a été vaincue pour mieux la juguler. Mais elle poursuit son chemin en toutes circonstances. Actuellement en déroute, soit ! Pas une défaite, juste un passage. N’est qu’un pas vers la poésie. Car la poésie est passage, et pas sage. Elle ne demande pas l’autorisation, dit Serge Pey au départ de Toulouse, au bord de l’université, avec, sur le dos, la boîte chargées de lettres qu’il déposera sur la tombe de Machado.
Et plus tard sur la route, à Carcassonne, dans la chambre que Joe Bousquet, merveilleux gisant, occupa trente ans, Pey rappellera ces mots du poète : « la poésie est le salut de ce qu’il y a de plus perdu dans le monde ». « La boîte aux lettres du cimetière » est un acte poétique, essentiellement transgressif, c’est-à-dire un acte de résistance. Et il en faudrait 365 par an des actes semblables, au moins un pour chaque jour de l’année, pour raviver les braises d’un foyer, celui du vivant, en péril. Pour que tienne l’élan dans un paysage de faux-semblants, d’acronymes, de représentation-s, de sens unique, de déliaison. Paysage mortifère dont « La boîte aux lettres du cimetière » est précisément l'antithèse, dans un pays insolite de plaines visitées par des pales d’éoliennes, de citadelles cathares, de chemins tracés par des drapeaux transparents avançant comme la marche dans le creux d’un vallon. « La boîte aux lettres du cimetière » tient de la bande-dessinée parfois ou du film de Jacques Tati, de ces traits d’humour qui font sourire le monde. Elle tient aussi du conte, un récit, transmis oralement à une adresse proche et qui s’invente dans les souffles aux aguets des auditeurs, c’est-à-dire un acte de création rendu possible par la disponibilité de Francis Fourcou et l’accueil qu’il fait à l’inconnu. Chaque matin de cette marche du 15 au 30 mai 2014, il découvre l’itinéraire du jour et improvise selon ce qui vient.
Catherine Zittoun

« Serge Pey et la boîte aux lettres du cimetière »
Film documentaire de Francis Fourcou
Sortie en salle 21 mars 2018
Catherine Zittoun est psychiatre, pédopsychiatre et poète.


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