Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Harper Collins pour l’envoi de ce livre qui m’a permis de découvrir cet auteur et de le rencontrer. Ce fut un beau moment d’échange !
Le livre : « Silver Water »
Crédit photo : Samsha Tavernier
L’auteur : Stuart Neville (alias Haylen Beck) est un écrivain irlandais (Irlande du nord). Après avoir étudié la musique et l’avoir enseigné, il s’est lancé dans une carrière de webdesigner et est finalement devenu auteur de romans noirs. « Les Fantômes de Belfast », son premier roman, a obtenu le Los Angeles Times Book Prize dans la catégorie roman policier/thriller en 2009, le Prix Mystère de la critique du meilleur roman étranger 2012 ainsi que le Grand Prix du roman noir étranger. Stuart Neville a signé cinq autres romans depuis. « Silver Water » est son premier livre sous le pseudonyme d’Haylen Beck. Pour le suivre c’est ici.
Le résumé : « Ce matin-là, Audra Kinney rassemble ses dernières forces pour fuir son mari, met ses deux enfants dans la voiture, et fonce à travers les paysages accidentés de l’Arizona. Elle se sent respirer. Enfin. Mais, par un étrange coup du sort, elle est arrêtée par la police sur une route a priori déserte. Le coffre de la voiture est ouvert. Une cargaison de drogue qu’elle n’a jamais vue de sa vie, découverte. Et le cauchemar commence. Car une fois au poste, après avoir été embarquée, on s’étonne qu’elle mentionne la présence de ses enfants. Ils auraient disparu ? La police, et bientôt les médias, parlent d’infanticide : c’est la parole d’Audra contre la leur… jusqu’à ce qu’un privé, Danny Lee, dont l’histoire ressemble à s’y méprendre à la sienne, se décide à forcer les portes de Silver Water. »
Mon avis : J’ai passé un bon moment de lecture avec ce thriller à l’américaine dont le cadre se situe dans la petite ville de Silver Water en Arizona. On suit Audra une mère célibataire rongée par de vieux démons qui tente de fuir l’emprise de son mari en se rendant à San Franscisco avec ses deux enfants. Malheureusement, les choses vont tourner à l’horreur quand ses enfants disparaissent et qu’Audra est accusée de leur avoir fait du mal.
Avec ce livre Haylen Beck (de son vrai nom Stuart Neville) nous plonge dans une atmosphère étouffante et aride. Silver Water est à l’image de nombre de villes américaines au bord du gouffre qui ne sont pas sorties indemnes de la crise économique. Les habitants sont sur les nerfs et voient les étrangers d’un mauvais œil. La culture des armes à feu, propre au sud des Etats-Unis, se fait bien sentir et sur ce mix déjà explosif vient se rajouter une sombre touche de « Dark Web ».
Le tout nous met immédiatement sous tension, à l’image des films US dont les notes de musique stridentes nous indiquent que quelque chose va arriver.
On s’identifie à Audra et on imagine le cauchemar judiciaire dans lequel elle se trouve : être accusée à tord et placée en garde à vue alors que ses enfants ont été enlevés et personne ne semble vouloir entendre ce qu’elle a à dire. Les média s’emparent immédiatement de cette sinistre affaire et le FBI intervient, le tout semble dans une interminable descente aux enfers.
Au fur et à mesure des pages tournées, le personnage d’Audra prend une autre dimension. En effet, on comprend vite qu’il s’agit d’une femme abusée par son mari lequel lui a infligé une grande détresse émotionnelle. C’est à ce moment là que j’aurais aimé que le livre prenne une tournure quelque peu différente. J’aurais, en effet, trouvé intéressant que l’on se mette à douter de l’intégrité d’Audra, que l’on se demande si, finalement, elle n’était pas vraiment responsable. Cela aura donné une autre dimension psychologique au roman qui reste malgré tout assez manichéen.
En revanche, je me suis beaucoup attachée au personnage de Danny Lee, un ancien membre des gangs de Chinatown, qui va aider Audra dans sa lutte, laquelle lui rappelle son propre vécu. J’ai aimé l’ambivalence de ce personnage que j’aurais aimé découvrir davantage.
La culture cinématographique imprègne ce thriller qui m’a souvent donné l’impression de voir un film à suspense.
En bref : un polar efficace et agréable à lire qui aborde des thèmes pas toujours évidents : l’abduction d’enfants, le Dark Web, la maltraitance et l’emprise émotionnelle. Il ne restera, malgré tout, pas dans mes annales.
*** La rencontre ***
Je remercie sincèrement Stuart Neville (Haylen Beck) pour sa générosité et sa gentillesse lors de cette rencontre.
Pourquoi avoir choisi ce pseudonyme?
Le pseudonyme « Haylen Beck » vient du nom de ses deux guitaristes préférés : Van Halen et Jeff Beck.
Stuart Neville a décidé d’écrire sous pseudonyme pour s’accorder de la liberté dans l’écriture. Tout d’abord, « Silver Water » est né dans le plus grand secret puisque ni son agent, ni son éditeur n’était au courant. Il souhaitait écrire une histoire un peu plus commerciale et « mainstream » se déroulant dans un autre cadre que l’Irlande. Avoir fait le choix de ce pseudonyme l’a vraiment libéré de toute pression et lui a permis de faire ce qu’il désirait, à son rythme sans que quiconque n’attende quoi que ce soit.
Pourquoi avoir décidé de situer l’action de ce roman aux Etats-Unis, alors que tous vos autres romans se déroulent en Irlande?
Comme évoqué, écrire sous pseudonyme était l’occasion d’essayer quelque chose de différent de ce qu’il a l’habitude de faire. De plus, les Etats-Unis se prêtaient parfaitement à son intrigue. Il voulait décrire de grands espaces sauvages et arides, ce que l’on ne trouve pas en Irlande. Il adore voyager aux Etats-Unis où il a beaucoup d’amis et lors de son dernier road-trip dans les Etats du sud, il a été très inspiré par les paysages et les petites villes de la région, lesquelles sont laissées à la dérive. Il s’est mis à faire des photos, à prendre des notes et à questionner les habitants afin de retranscrire tout cela dans son roman pour qu’il soit aussi authentique que possible. Il a été particulièrement marqué par la culture américaine, la montée de Trump, les dérives du système de santé, l’omniprésence des armes à feu et a voulu écrire un roman sur tout cela. Dans l’idéal, Stuart Neville aimerait que ses thrillers signés sous le pseudonyme « Haylen Beck » se déroulent aux Etats-Unis. D’ailleurs, il est actuellement en train d’en finaliser un dont l’action se situe à Pittsburg.
Quelles ont été vos influences pour écrire ce roman?
Deux oeuvres littéraires et cinématographiques l’ont particulièrement inspiré pour ce livre : « The killer inside me » de Jim Thompson et « La nuit du chasseur » de Davis Grubb.
« The killer inside me »
« La nuit du chasseur »
N’a t-il pas été trop difficile d’écrire sur les thèmes de l’enlèvement d’enfants et sur la maltraitance (aussi bien physique qu’émotionnelle)?
Ce sont, en effet, des sujets qui peuvent être difficiles, mais Stuart Neville a toujours veillé à ne pas franchir une certaine limite et à garder de la distance. Il se refuse d’écrire quelque chose qu’il ne voudrait pas lire lui-même. C’est notamment la raison pour laquelle les scènes d’enlèvement sont racontées du point de vue des enfants. De la sorte, elles semblent moins dures et cela permet aux lecteurs d’être conscients du fait que les enfants ne comptaient pas se laisser faire.
Les passages concernant l’emprise émotionnelle et la maltraitance subit par Audra sont apparus au fur et à mesure de l’écriture. Initialement, ils ne devaient être qu’un rouage de l’histoire, mais finalement Stuart Neville a considéré que cela donnait une dimension et une profondeur toute autre et il s’est intéressé au sujet.
Avez-vous fait des recherches sur le Dark Web?
Stuart Neville a, effectivement, fait des recherches sur le sujet mais juste le nécessaire afin de savoir comment cela fonctionne. Il n’a pas eu la curiosité morbide de se rendre lui-même sur le Dark Web.
Comment avez-vous développé les personnages?
Les personnages se sont imposés d’eux-même assez facilement. Il savait dès le début quelles caractéristiques il voulait leur donner. Il était fasciné par le pouvoir que peut posséder un shérif dans une petite ville du sud des Etats-Unis mais ne voulait pas le transformer en monstre pour autant. Il souhaitait également que les enfants aient un fort tempérament et ne restent pas passifs. Quant au personnage de Danny Lee, il le souhaitait aux antipodes d’Audra ainsi qu’aux antipodes de sa propre personnalité. Il a donc décidé d’en faire un asiatique américain membre repenti d’un gang de Chinatown. Ce dernier personnage a été développé avec l’aide d’un ami asiatique, lui-même auteur, qui connait bien le milieu afin d’être le plus fidèle possible dans la retranscription des interactions de la communauté.
Y aura t-il une suite à ce roman?
Le roman a été écrit comme un seul livre, mais en le rédigeant Stuart Neville s’est pris d’affection pour Danny Lee. Aussi, il s’est laissé la possibilité de reprendre l’histoire avec une fin un peu plus ouverte que celle initialement prévue. Ceci dit, pour l’instant aucune suite n’est en vue.
Vous avez dit lors d’une de vos interviews que les polars étaient un bon moyen de se faire justice, pouvez-vous expliciter?
Stuart Neville vient d’Irlande du Nord, laquelle est marqué encore aujourd’hui par la violence. Là-bas, tout le monde sait que certains personnes (dont des hommes et femmes de pouvoir) ont commis des choses affreuses et pourtant n’ont pas été condamnés par la justice. C’est la raison pour laquelle les irlandais aiment lire des romans policiers où à la fin le coupable se retrouve derrière les barreaux comme cela devrait toujours être le cas. Il aime beaucoup une citation à ce propos : « Dans la prochaine vie il y aura la justice, tandis que dans celle-ci il y a la loi ».
Connaissez-vous cet auteur? Avez-vous envie de lire ces livres?