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Le texte de mon intervention au CCOMS le 30 mars

Publié le 01 avril 2018 par Lana

Avant, je n’avais pas de voix. J’étais enfermée dans la maladie, je ne pouvais pas en parler, à personne. J’étais une adolescente quasi mutique par moments, muette sur ses troubles tout le temps. Je gravais ma douleur sur ma peau. J’écrivais mes maux avec des mots. J’avais mon journal. Le seul endroit où je pouvais dire, être, reprendre un peu de pouvoir sur mon esprit en essayant de comprendre ce qui le troublait.

Avant, il fallait que personne ne sache. Je prenais mes médicaments en cachette,  je ne disais pas que j’allais voir un psy. Je n’aimais pas les gens qui m’avaient vue à l’hôpital. Je portais ça comme une tare. Une honte qui ne se disait pas mais s’avouait seulement, comme on avouerait un crime. J’avais peur de ce qui se disait, je me demandais qui savait, qui ne savait pas et qui savait quoi. Ce que ceux qui savaient un peu pouvaient bien imaginer. J’avais peur des jugements sans appel. Je rêvais que quelqu’un découvre tout et me sauve. Je me taisais avec l’envie de parler et la peur de révéler. Je vivais avec le poids de la schizophrénie silencieuse.

Mais ce silence m’étouffait, et depuis quand est-ce que me taisais sur les sujets qui me révoltaient? Depuis quand laissais-je dire les gens? Sur les autres, tous les autres à propos de qui il est si facile de  répandre des préjugés déshumanisants, je ne me suis jamais tue, ou juste en passant un soir ou deux parce que vraiment avec ces gens ce n’étaient pas la peine, je préfèrerais encore ne plus les voir, mais le dégoût de mon silence, je le sentais longtemps. Alors, sur les fous, j’allais me taire? J’allais la fermer parce que c’était de moi qu’on parlait, et enrager le soir seule chez moi? J’allais me taire comme si ce n’était que de moi qu’on parlait?

La première personne  à qui j’ai parlé de mes troubles souffrait lui aussi. De quoi, on ne sait pas, je ne savais pas moi non plus à l’époque, mais on se ressemblait.  Avec lui, c’était une délivrance, parce que ça ne lui était pas du tout étranger. Je n’étais plus emmurée. Nous étions deux.

Après, il a fallu en parler  à des psychiatres, parce que ma vie était en jeu, je le sentais. Il a fallu entendre « attendez que ça passe », « vous n’avez rien », « ma petite fille », j’en passe avant de tomber sur une soignante qui m’a écoutée et donner un diagnostic.

Avec ce diagnostic, j’ai osé intervenir sur un forum consacré à la schizophrénie. C’était le début du partage, de la reprise de pouvoir sur la maladie. Elle avait un nom, il y avait d’autres personnes qui en souffraient, on s’encourageait, s’entraidait, parfois on s’engueulait aussi, mais c’était une façon de circonscrire la maladie. Ce qui ne se disait pas dans la vie réelle pouvait se dire sur internet. C’était ma vie parallèle, l’endroit où je n’étais plus obligée de me taire.

Me taire, dans ma vie de tous les jours, me pesait, et je me sentais complice de la stigmatisation, de ce qu’on entendait à la télé, dans les journaux, dans le quotidien

C’est pour ça que j’ai ouvert un blog. Un soir, je n’arrivais pas à dormir, je cogitais, j’ai eu cette idée, j’avais toujours dit que j’aurais aimé léguer le journal de mes années de maladie, alors je me suis relevée, et dans la nuit j’ai commencé à écrire, à dire qui j’étais, et puis à recopier mon journal.  Je voulais que les gens comprennent ce qu’il y avait dans ma tête, dans la tête d’une schizophrène. Qu’ils comprennent  la souffrance, la folie, qu’ils voient que le danger il est dans celui de perdre la vie plus que de donner la mort à quelqu’un d’autre. Je voulais qu’ils me rejoignent dans mon monde, moi qui me sentais seule sur l’autre rive. Je voulais qu’ils arrêtent de nous voir comme des psychopathes, qu’ils comprennent que notre souffrance est infiniment humaine.

.  Un jour je me suis dit voilà je parle, voilà qui je suis, c’est politique. Le grand mot. Mais c’est vrai, je crois que j’aurais préféré me taire, à l’époque en tout cas. Maintenant j’en ai pris l’habitude, et tout ça ne m’appartient plus. La version écrite de ma maladie n’est plus à moi. Ces cahiers sur écran se confondent quasiment avec mes années noires, comme s’ils étaient le reflet parfait de ce temps-là, alors qu’ils en sont tellement loin, tellement rien à côté de tout ce qui a eu lieu. Et je me sens comme vide et transparente. Ce texte-vie, des gens le lisent, le transforment, le mettent sur images. Les gens que je connais regardent à travers cette lucarne dans mon passé et mes pensées. Alors il n’est plus à moi. Peut-être est-ce plus facile de le laisser vivre en l’ayant abandonné. Il est aux autres. Il est politique, alors qu’il n’a été écrit qu’avec mon sang et mes larmes et mes espoirs et désespoirs, pour moi seule, sans relecture, sans corrections, juste ce qu’il fallait que j’écrive pour ne pas mourir, et le voilà, nu, dans toute sa nudité, exposé à qui veut bien le regarder.

Les réactions ont été positives, on m’a dit que tu m’as fait comprendre des choses que je n’ai pas appris en cours, tu m’aides à être un meilleur soignant. Des choses qui me faisaient me sentir utile. Ce que j’avais écrit pendant ces années de maladie, non seulement m’avait sans doute sauvée, mais servait à d’autres. Ca m’a aidée, le jour où j’ai parlé de ma maladie à tout le monde, d’avoir ce blog. Je savais que les gens pouvaient bien réagir, que j’avais une parole à porter, que tout ça n’était pas vain. Alors je pouvais me présenter comme schizophrène, par pour me réduire à une maladie, mais pour dire à mon entourage voilà une schizophrène, c’est votre amie, votre collègue, n’ayez pas peur, laissez tomber vos préjugés, c’est juste moi.

Des gens ont été touchés par le journal, au point d’en faire un film,  d’imaginer une pièce de théâtre. Ca m’a redonné confiance en moi, en ma capacité d’écrire. Alors, j’ai reprise la plume, plus seulement pour recopier  mon journal, mais pour parler de ce que je ressentais à ce moment-là, de mes réflexions sur la psychiatrie, sur la vision des maladies mentales. Pour faire du politique avec le privé.

Grâce à mon blog, j’ai rencontré des gens dans la vie réelle, je suis allée à des conférences. Moi, la jeune fille muette, j’étais devenue une femme qui parlait, s’exprimait, était écoutée. De centré qu’il était sur la maladie, le blog l’est devenu sur le rétablissement. C’est en ça aussi que je le trouve important, porter la parole de quelqu’un qui se rétablit.  Car la parole du malade, les soignants l’entendent  toute la journée, moins celle de celui qui se rétablit et qui bien souvent a déserté (avec raison) la psychiatrie.

Sans ce blog, aurai-je tenté l’aventure de la pair-aidance ? Sans doute pas.  Aurais-je retrouvé confiance en moi ? Sans doute moins.


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