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3 leçons que j’ai apprises en 5 ans comme libraire/entrepreneure – Première leçon

Publié le 02 avril 2018 par Exploratology @exploratology

Un beau jour d’avril en 2013, je signe un papier que j’irais déposer à la Chambre du Commerce. Ça y est, ma boîte était créée. Des idées plein la tête, des premiers cartons de livres qui arriveraient d’ici quelques semaines et surtout 3 mois plus tard, l’ouverture d’une boutique en ligne.
Il y a 5 ans, je ne savais vraiment pas si j’allais encore être là, en 2018.
Une part de moi ne se rend pas trop compte de la chose, mais une autre est discrètement émue du chemin parcouru. La première année, puis la troisième, j’avais fait un bilan.

Alors pourquoi pas refaire un bilan en cette cinquième année, et partager avec vous 3 choses que j’ai apprises en 5 ans comme libraire/entrepreneure ?

Première leçon : La curiosité littéraire se travaille

Je suis terriblement admirative des libraires et des éditeurs. Je me suis rendue compte en 5 ans à quel point le métier demande de travailler mon regard et mon ouverture d’esprit pour que ma curiosité littéraire reste affûtée, multiple et surtout intacte. Je pensais il y a 5 ans que mon boulot de sélection se résumerait à lire tranquillou et à aimer ou non. Haha, tu parles ma grande! La jeunesse… (j’aime pouvoir m’exprimer comme si j’avais la sagesse de Maître Yoda alors que bon, hein

😅
).

Il faut lire certes, mais beaucoup, genre vraiment beaucoup. Aller parfois complètement à l’encontre de ses impressions premières, se forcer presque à ouvrir certains livres, se rappeler sans cesse de ses autres lectures pour resituer chaque livre comme autant de pièces dans un puzzle. Lire avec une partie du cerveau ancrée sur nos propres affinités, et une autre sur les attentes de nos lecteurs. Et même si je n’y arrive pas forcément, j’essaie d’accueillir chaque première page sans préjugé, tout en pensant aux nombreuses lectures faites auparavant et à tout ce que vous avez partagé avec moi le long des années.

livres exploratology

On ne juge pas un livre par sa couverture, comme on ne juge pas un lecteur par ce qu’il lit. Lire pour d’autres est un travail humble et patient, une aventure beaucoup plus exigeante que je ne me l’était imaginé il y a 5 ans, pour laquelle je ne sais toujours pas si je suis à la hauteur, mais terriblement gratifiante.

La littérature est un art, mais lire relève plus de l’artisanat obstiné. La lecture a un peu une auréole d’esthète, d’intellectuel dans son fauteuil qui lit en rêvant. Mais je trouve que l’activité qui se rapproche le plus à mon activité de lecture est… La cuisine :) La répétition des même gestes jusqu’à ce qu’on arrive à un résultat qui nous semble juste, associée à un effort constant d’innovation et de recherche. Du labeur et de la patience. Et la dose d’humilité nécessaire à tout artisanat.

Encore maintenant, je continue à peaufiner mes lectures et à secouer mes choix, et chaque sélection relève de critères parfois bien différents. J’espère ainsi refléter également ce qu’il se passe dans une vie de lecteur lambda : le changement parfois total de style selon les périodes de sa vie, ces montagnes qu’on franchit d’un coup avec un seul bouquin, les aléas de l’existence qui fait que certains livres nous parleront plus qu’à d’autres moments.

Je n’ai pas fini d’apprendre et d’améliorer mon métier de lectrice, pour mon plus grand plaisir. Et continuez à ne jamais hésiter à me dire ce que vous avez pensé de vos lectures, c’est avec vous que je chemine :)

Petit focus coulisses : Comment je lis et sélectionne les livres pour vos abonnements ?

La pré-sélection

Avant, je fonctionnais beaucoup par thème, mais maintenant il m’arrive plus souvent d’éplucher le catalogue entier d’un éditeur, en regardant notamment la ligne éditoriale des collections. C’est surtout le cas quand il s’agit d’une « petite » maison d’édition, comme généralement il y aura un éditeur ou éditrice derrière chaque collection (voire derrière la maison entière) ce qui assure une certaine ligne directrice et une certaine cohérence dans les publications. Après ce premier épluchage, je garde généralement 4 ou 5 livres.

C’est comme ça que j’ai trouvé K. chez Vents d’Ailleurs. K. fait partie de leur collection Pulsations, dont j’ai trouvé le prémisse vraiment intéressant (« se faire le reflet des changements sociaux, culturels, politiques de notre monde, de ses « pulsations ») ; et c’est ainsi que l’ouvrage s’est retrouvé en pré-sélection.

k bernardo kucinski

Je travaille aussi beaucoup avec les catalogues de nouveautés et les argumentaires que nous envoient régulièrement les maisons d’édition et diffuseurs. On sait généralement 3 mois à l’avance ce qui paraîtra, ce qui me permet bien entendu de travailler mon repérage en amont.

Abonnement Romans Box Livres Février 2016

Mais le hasard et la chance jouent encore un certain rôle : c’est piocher des livres au hasard dans une bibliothèque ou au gré de plusieurs clics sur Internet (Toute une histoire, qui vous a été envoyé en mars, est le pur fruit du hasard en surfant sur Babelio!).

Faire confiance aux suggestions de mes interlocuteurs chez les diffuseurs/éditeurs (c’est ainsi que j’ai découvert Les Mille Automnes de Jacob de Zoët, conseillé par Muriel chez les éditions du Seuil, ou Dégâts des Eaux, conseillé par Thierry chez Rivages).

Ecouter ma co-lectrice (grâce à qui vous avez reçu par exemple Congo Inc. en septembre 2016).

Se laisser tenter par un livre sur le seul critère du titre ou d’une couverture…

Et surtout, je laisse passer du temps entre le moment où j’ai repéré un livre et le moment où je le lis, et je m’abstiens de lire la 4ème de couverture, afin de commencer le livre sans attente particulière et donc avec le moins de préjugés possibles. C’est peut-être une des choses qui m’a le plus réussi pour continuer à me laisser surprendre par mes lectures :)

La lecture

Je lis à heures fixes (le matin avant d’aller au travail ou le soir en rentrant, le week-end aussi). J’ai généralement une petite pile de 4-5 bouquins, dont je lis les premières 20-30 pages pour faire un premier écrémage. Et si le livre me plait, je continue ma lecture tout en faisant mes premières recherches : je lis ce que la presse et les lecteurs en disent, des articles sur l’auteur, pour mieux situer le livre. C’est un travail impératif : on n’envoie pas qu’un livre, mais aussi un contexte culturel, politique, historique, un ouvrage qui peut s’inscrire dans un mouvement ou une histoire littéraire.

Par exemple, pour Le Palais des Illusions envoyé en 2014, réécriture du Mahâbhârata d’un point de vue féministe, j’avais fait quelques recherches sur l’accueil de ce livre par le public indien pour vérifier sa pertinence par rapport au texte d’origine (que je connais très peu, donc difficile d’en juger par moi-même!).

Pour Le Maître des Jardins Noirs, publié chez Espace Nord, une maison d’édition spécialisée dans le patrimoine littéraire belge, j’ai trouvé ça vraiment intéressant d’envoyer ce texte qui, au-delà de ses qualités littéraires, était considéré comme un classique de la littérature belge, mais aussi un exemple de « fantastique rural », et plus généralement de toute cette littérature du fantastique que les auteurs belges ont investis de manière unique.

Bref, le travail de recherche me permet en quelque sort d’asseoir et de nourrir avec des arguments externes des sélections qui sont à l’origine personnelles. Après, j’avoue, certains livres relèvent du coup de coeur pur et simple, sans autre argument supplémentaire, tout simplement! :D

abonnement romans box livres octobre 2016
abonnement romans box livres février 2017

Pendant ma lecture, je pense aussi à quelques unes de mes abonnées que je connais, en me demandant si ça leur plairait à elles. Je ne le fais pas ça à tous les coups (clairement quand j’ai choisi L’homme qui mit fin à l’Histoire, je n’ai écouté que ma pomme!), mais c’est déjà arrivé qu’un livre passe la sélection finale, malgré des hésitations personnelles, simplement en réfléchissant à ce qu’un autre lecteur pourrait y percevoir d’intéressant.

C’est un peu comme ça que L’oubli que nous serons d’Hector Abad a été sélectionné. Malgré ses longueurs qui m’embêtaient un peu, j’ai eu le sentiment que c’était un livre que les abonnées auxquelles je pensais pourraient aimer lire, pour sa grâce et sa façon très intime et humaine de raconter l’Histoire colombienne.

Parfois, je repense à mon bibliothécaire avec qui j’échangeais sur notre travail, qui ne me disait pas directement « j’ai aimé ce livre », mais avec élégance : « vous ne pensez pas que c’est un livre qui plairait à nos lecteurs ? » Et parfois ça fait toute la différence! :)

Voilà comment je fonctionne pour mes lectures ! :)

Dans une semaine, la deuxième leçon : quand l’aventure entrepreneuriale se cultive comme une relation d’amour. 

A la semaine prochaine!


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