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Autour de « L’invention de Morel de Bioy Casares », l’image en question

Publié le 17 avril 2018 par Marcel & Simone @MarceletSimone
Jean‐Pierre Mourey (né en 1970 à Luxeuil‐les‐Bains), L’invention de Morel, Ed. Casterman, 104 pages, 2007,     bande‐dessinée

Jean‐Pierre Mourey (né en 1970 à Luxeuil‐les‐Bains), L’invention de Morel, Ed. Casterman, 104 pages, 2007, bande‐dessinée

L’invention de Morel, un livre « parfait (1) », inspiration pour de nombreux artistes
L’exposition a la vertu de nous faire découvrir ou redécouvrir le roman fantastique d’Adolfo Bioy Casares publié en 1940. Connu dans le milieu artistique, il l’est moins du grand public.

Thierry Dufrêne, commissaire de l’exposition, résume ce livre par une formule limpide : « C’est l’histoire d’un homme aimant une image, qui décide de devenir une image (2) ».

Dans ce roman, un homme en fuite réfugié sur une île tombe amoureux d’une de ses habitantes, sans pouvoir entrer en contact avec elle. La robinsonnade bascule alors dans la science-fiction à travers une réflexion sur le statut de l’image.

Cent ans après la naissance de la photographie et quarante après celle du cinéma, le roman de Bioy Casares n’a rien perdu de sa pertinence. Il questionne notamment notre propension à créer des images et des vidéos dans un monde parallèle, qui pourrait être incarné par internet.

Nombre d’artistes se sont donc inspirés de ce chef d’œuvre.

Michel Bret (né en 1941 à Lyon, il vit et travaille à Paris) Edmond Couchot (né en 1932 à Paris), Les Pissenlits, 1990, dimensions variables, dispositif interactif

Michel Bret (né en 1941 à Lyon, il vit et travaille à Paris) Edmond Couchot (né en 1932 à Paris), Les Pissenlits, 1990, dimensions variables, dispositif interactif

Thierry Dufrêne, chef d’orchestre d’une exposition stimulante et originale

L’exposition conduite par Thierry Dufrêne est une réflexion qui navigue entre le monde littéraire, celui du cinéma et de l’art contemporain. Le commissaire réunit des hologrammes (Piotr Kowalsky), des planches de bande-dessinée (Jean-Pierre Mourey), une installation lumino-cinétique (Julio Le Parc), des photographies (les cyanotypes de Stéphanie Solinas) et bien d’autres moyens d’expression, créant un ensemble éclectique.

Comme l’exposition ne nous abreuve pas de dates et de cartels compliqués, on se promène au milieu de cet ensemble d’œuvres poétique et fantastique comme dans une agréable rêverie. Pourtant, certaines œuvres auraient mérité quelques éclaircissements, comme Time Capsule de Nicolas Darrot. Il faudra donc se contenter des panneaux de salle et des liens que chaque œuvre entretient avec le texte de Bioy Casares.

La frustration s’arrête pourtant à la lecture du catalogue, véritable mine d’informations. Par ailleurs, un cycle de rencontres cinématographiques est organisé par Thierry Dufrêne jusqu’au 6 juin, où il ne manquera pas de préciser ce qui peut lier des films comme L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961) ou La Jetée de Chris Marker (1962) à Bioy Casares.

Masaki Fujihata (né en 1956 à Tokyo, il vit et travaille à Tokyo), Morel’s Panorama, 2003, dimensions variables, dispositif interactif

Masaki Fujihata (né en 1956 à Tokyo, il vit et travaille à Tokyo), Morel’s Panorama, 2003, dimensions variables, dispositif interactif

Un parcours d’œuvres variées, de l’illustration à l’évocation de L’invention de Morel

Concentrons-nous sur les œuvres les plus marquantes du parcours. À l’étage, Masaki Fujihata nous surprend avec Morel’s Panorama (2003). Tandis que nous entrons dans la salle, un peu déconcertés par un écran quasiment vide, nous voilà happés par la caméra et projetés sur le mur, inscrits dans un espace vidéo qui se déroule comme une bobine de film ou du papier à cigarette, mais contrairement au héros de L’Invention de Morel, nous pouvons sortir de la salle sans encombre.

Au même étage, c’est le charmant dispositif de Pierrick Sorin qui nous entraîne (La Dernière danse, 2018). Dans un « théâtre optique (3) »  en 3D, l’image de l’artiste essaie désespérément de danser avec une femme, projection, elle aussi, sans qu’ils ne puissent jamais se rencontrer. On s’arrête au sous-sol sur les belles planches de la bande-dessinée de Jean-Pierre Mourey, directement inspirées du livre de Bioy-Casares.

Au passage, se déploie sur un mur la projection d’un champ de pissenlits semblables à des feux d’artifice (Edmond Couchot & Michel Bret, Les Pissenlits, 1992-2017). On entre dans cette image parallèle, grâce à un très joli dispositif : la voix, puis le souffle portés au micro capteur qui se trouve devant le mur font s’envoler les aigrettes des pissenlits en une explosion ravissante et jouissive.

Les œuvres de Stéphanie Solinas enfin séduisent par leur étrangeté. Sans connaître Bioy Casares, cette artiste a créé un travail qui s’inspire des légendes islandaises sur les elfes. Dans la salle qui lui est consacrée, sont présentés des cyanotypes (4), qu’elle a délicatement déposés aux endroits où des mediums islandais déclarent que les elfes apparaissent (Le Pourquoi Pas – Équivalences, 2014-2017). Sans le savoir, Stéphanie Solinas reprend comme dans L’invention de Morel,  l’idée d’un monde parallèle habité par des créatures incertaines et fascinantes, semblables par là aux images.

(1) Adjectif utilisé par le grand ami de Bioy Casares, l’écrivain Jorge Luis Borges.

(2) Conférence donnée le lundi 9 avril 2018 à la Maison de l’Amérique latine.

(3) Catalogue de l’exposition, p. 95.

(4) Photographie « autonome », en prise directe. Grâce à une substance photosensible, l’image de la nature s’y imprime directement en négatif, dans une couleur bleu cyan.

« L’invention de Morel ou la Machine à images », à la Maison de l’Amérique latine, 217 boulevard Saint-Germain, Paris 7ème,

du 16 mars au 21 juillet 2018.

Ouvert tous les jours (sauf dimanche, fériés) de 10h à 20h, le samedi de 14h à 18h.

Catalogue publié aux éditions Xavier Barral, 288 p., 30 €.


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