Casino de Paris16, rue de Clichy75009 ParisTel : 08 92 69 89 26Métro : Liège / Saint-Lazare / Trinité
Spectacle écrit par Normand ChauretteSur une idée originale de Jean-Claude DumesnilMis en scène par Normand ChouinardDirection musicale de Jean-Pascal Hamelin
Avec Patrick Poivre d’Arvor, Vincent Bilodeau(Bach), André Robitaille (Mozart / Papageno), Sylvain Massé(Beethoven), Gilbert Lachance (Erik Satie)
Présentation : Une histoire intemporelle où la musique classique prend vie sur scène grâce aux fantômes de grands compositeurs et qui se révèle ainsi en toute simplicité au travers de l’imagination fertile d’un mélomane passionné.Patrick et ses Fantômesdémystifie les grands classiques grâce à l’apport du théâtre. Les chefs-d’œuvre immortels de la musique revêtent une nouvelle signification ouvrant ainsi, à un tout nouveau public, les richesses du théâtre et de la musique classique.
Mon avis : Patrick Poivre d’Arvor, on le sait, est un esthète. Il aime les beaux esprits, les belles lettres, les belles mers, les belles femmes et… la belle musique. Aussi, lorsqu’il a assisté à Montréal à une représentation d’Edgar et ses fantômes, il a immédiatement compris la portée didactique de cette pièce toute entière vouée à la musique classique. En fait, ce spectacle est hybride car il fusionne avec beaucoup de finesse deux arts majeurs : le théâtre et la musique. Se retrouver ainsi entouré de deux muses, Thalie pour la comédie et Euterpe pour la musique, ne pouvait pas déplaire à PPDA. Séduit par cette bigamie artistique, il s’est donc projeté légitimement dans le personnage d’Edgar. Et il se l’est approprié pour offrir au public français cette expérience unique.
Je risque de manquer de superlatifs et de dithyrambes pour exprimer le plaisir que j’ai eu à découvrir et, surtout, à vivre Patrick et ses fantômes, un spectacle total, drôle et intelligent ; en un mot, enthousiasmant.Patrick Poivre d’Arvor s’est glissé avec malice et élégance dans le costume de ce mélomane érudit et passionné qui, par le truchement d’une flûte enchantée (tiens, tiens) et d’une boule magique, va recevoir dans son salon trois « stars » absolues de la musique dite classique : Jean-Sébastien Bach, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven. Quel pied !
Patrick est tellement investi et impliqué dans ce rôle qu’il a créé un nouvel emploi, celui de « narracteur ». Il est tout simplement, et sans aucune présomption, le chef d’orchestre de cette pièce. Il est le deus ex machina de cette « Nuit des Rois » car il réalise le prodige de réunir trois génies intemporels et de les faire se confronter.
C’est très confortable pour lui : il est chez lui, il est dans son époque et, énorme privilège, il sait tout de ces grands maîtres. Dans cette sorte de « Retour vers le futur » inversé, c’est lui qui les convoque parce que, à juste titre, ce sont les trois cadors de la « profession ». Ce scénario permet donc toutes les licences et autorise de savoureux anachronismes (la découverte du stylo par Mozart est particulièrement plaisante)…On est immédiatement happé et captivé par les comportements des trois compositeurs. Les observer lorsqu’ils redécouvrent leur propre musique interprétée par un orchestre moderne de 25 musiciens est un pur délice. On est en totale empathie avec eux, on partage leur bonheur… L’auteur a pu tout se permettre tout en restant plausible car il connaît visiblement ses sujets sur le bout des doigts. Non seulement il sait tout de leur œuvre, mais il connaît aussi leur histoire et leurs caractères. Ainsi Bach est austère, rigide, profondément croyant, limite revêche… Mozart est exalté, facétieux, insolent, virevoltant… Beethoven est misanthrope, idéaliste, amer, brutal… Tous trois sont immensément orgueilleux, conscients de leur talent exceptionnel. Ces trois mâles dominants de la musique n’étant pas des tièdes, ils vont d’abord en toute logique se jalouser, se quereller puis, l’objectivité aidant, se respecter, s’estimer et, finalement, s’admirer.Bach joue du Mozart, lequel, par l’intermédiaire du chef d’orchestre, Jean-Pascal Hamelin, s’auto-dirige au piano ou compose en direct devant nous l’ouverture de son Don Giovanni… Chacun d’entre eux évoque sa vie, son métier, ses difficultés en s'appuyant sur de nombreuses anecdotes personnelles. C’est tout autant pédagogique que divertissant.
En démiurge avisé, Patrick Poivre d’Arvor nous offre une version positive et enjouée du Petit joueur de flûte de Hamelin (eh oui, comme le chef d’orchestre). Au son de son flageolet magique, il extirpe de leurs limbes les trois illustres musiciens et les matérialise en d’aimables fantômes pour son propre plaisir autant que pour le nôtre… Taquin dans l’âme, histoire de leur titiller l’égo, il se permet même l’audace et le luxe de leur faire entendre des œuvres de leurs héritiers : Verdi, Strauss, Prokofiev, Rossini, Lehar, et même Schönberg et Satie…Dans ce spectacle esthétique dans tous les domaines (on y revient !), Patrick joue sa partition sans aucune fausse note. Il nous invite à un « Vol de nuit » musico-théâtral de haute portée. S’il se montre tout à fait convaincant dans cet exercice, c’est dû à deux facteurs essentiels : premièrement, il est dans son élément, dans un des volets de son immense culture, et il est accompagné par quatre solistes hors pair, des comédiens québécois qui incarnent à la perfection leurs prestigieux personnages.
Il faut impérativement citer le sixième personnage ô combien indispensable de cette pièce : l’orchestre. Dirigé avec autant de fougue que d’humour par Jean-Pascal Hamelin, cet orchestre symphonique composé de 25 jeunes virtuoses exécute avec un talent exceptionnel plus d’une vingtaine de morceaux qui appartiennent à l’Histoire de la Musique. C’est simple : il n’y a que des tubes ! J’emploie ce mot à bon escient car, ici, le mystique s’accorde parfaitement avec le populaire, dans le sens noble du terme. Les mélodies de tous ces titres sont gravées à jamais dans la mémoire collective universelle.
Vous l’aurez compris, j’ai été emballé, enchanté (comme la flûte), transporté par ce spectacle d’une incomparable richesse. C’est bien écrit, les dialogues, ciselés, livrent une petite musique légère, c’est remarquablement interprété tant théâtralement que musicalement. C’est un bonheur absolu.
J’ai toutefois une seule (petite) réserve : je pense que convoquer le fantôme d’Erik Satie n’était pas indispensable. Même s’il n’y a rien à reprocher à son interprète, bien au contraire, il n’est pas au diapason des trois monstres que sont Bach, Mozart et Beethoven. Il n’a pas la même envergure, le même poids, la même influence, la même descendance. Je n’ai pas compris l’utilité de son intrusion dans le salon de Patrick. C’est comme un chapitre de trop en clôture d’un best-seller. L’auteur doit avoir ses raisons ; il faudrait le lui demander… Personnellement, j’estime que les Trois Fantastiques précités se suffisaient à eux-mêmes. Gilbert "Critikator" Jouin