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Alice Guy : elle a tout inventé, on l’a tous oubliée

Publié le 25 avril 2018 par Marcel & Simone @MarceletSimone

A l'occasion de la remise du premier prix Alice Guy qui récompense le meilleur film français d’une réalisatrice, sorti l’année précédente en France - prix attribué cette année à Paris la Blanche de Lidia Terki - nous republions ce texte sur Alice Guy paru en 2014.

Alice Guy : elle a tout inventé, on l’a tous oubliée

A une époque où les « rétrospectives » sont de mode, peut-être les souvenirs de la doyenne des femmes metteurs en scène trouveront-ils quelque faveur auprès du public. Je n’ai pas la prétention de faire oeuvre littéraire, mais simplement d’amuser, d’intéresser le lecteur par des anecdotes, des souvenirs personnels, sur leur grand ami le cinéma, que j'ai aidé à mettre au monde.

C’est par ces deux phrases toute en simplicité et modestie que commence l’autobiographie d’Alice Guy (1873-1968), première femme réalisatrice de l’histoire du cinéma, pourtant inconnue aujourd’hui par bien des gens qui se disent cinéphiles (dont moi-même jusqu’il y a très peu de temps). A grand coup de rétrospectives, d’expositions, de restaurations de vieux films, les historiens du cinéma nous ont appris que les inventeurs du cinéma s’appelaient Lumière, Méliès, Zecca…

Personne ne nous a parlé d’Alice Guy. Et Pourtant…

Alice Guy : elle a tout inventé, on l’a tous oubliée

Entrée comme secrétaire à 21 ans au service de Léon Gaumont, vendeur de caméras, elle assiste à une des premières projections du cinématographe par les frères Lumières en 1895, et sa vie bascule.

Fille d’éditeur et grande lectrice, elle comprend très vite que le cinématographe ne doit pas se résumer à la prise de vue de reportage mais peut devenir un formidable outil pour raconter des histoires.

Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu. J’avais fait un peu de théâtre d’amateur et pensais qu’on pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu ce consentement. Ma jeunesse mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. Je l’obtins cependant, à la condition expresse que cela n’empiéterait pas sur mes fonctions de secrétaire.

En mars 1896, elle tourne La fée aux choux, un des tout premier film de fiction de l’histoire du cinéma.

A partir de là, poussée par un grand sens artistique et beaucoup d’audace elle ira d’innovation en découverte: gros plan, accéléré, ralenti, surimpression, colorisation des films, utilisation du parlant dès 1902 (25 ans avant Le Chanteur de jazz considéré comme le premier film parlant de l’histoire du cinéma!)…

Cette femme passionnée ne cesse de repousser les limites du cinéma et d’en inventer sa grammaire. En 1906, elle réalise La Vie et la mort du Christ, un film de 34 minutes (un record à l’époque) qui mobilise 300 figurants et 25 décors différents.

Elle se marie ensuite et part aux États-Unis où elle continue sa carrière de réalisatrice avec beaucoup de succès. Elle devient riche et célèbre, dirige les futurs grandes actrices de l’époque à qui elle conseille de jouer de manière plus naturelle.

En 1919 son mari la quitte pour une actrice, et il coule peu de temps après sa société, la Solax, du fait d’une mauvaise gestion. Elle rentre en France ruinée, avec ses deux enfants à charge. Elle ne retournera plus jamais de film, et meurt en 1968, à 95 ans, dans l’indifférence totale.

Elle laisse derrière elle pas moins de 600 films donc beaucoup ont été égarés aujourd’hui.

Son autobiographie, écrit dans un style très naturel presque parlé, se rapproche parfois plus du journal intime ou du témoignage. Elle y raconte depuis son enfance jusqu’à son retour en France en 1922, des anecdotes de sa vie de passionnée de cinéma.

Elle écrit au fil de la plume, fait des sauts dans le temps, revenant parfois en arrière ou annonçant des événements futurs, ou encore s’arrêtant pour commenter et donner son ressenti sur l’histoire racontée. Ce style très spontané engendre une narration fluctuante au gré des souvenirs qui remontent à la mémoire d’Alice Guy qui a 80 ans lorsqu’elle écrit son autobiographie.

On est ainsi plongé, non pas dans l’histoire linéaire de cette femme, mais dans les souvenirs d’une vieille dame, qui remontent par vague entraînant avec elle son lot de nostalgie, fierté, regret. Une vieille dame dont la contribution à la naissance du 7e art n’a d’égal que l’oubli dans lequel elle est tombée ensuite.

Dans L’Histoire Générale du Cinéma de Georges Sadoul, la bible de tous les étudiants en cinéma, un grand nombre des films d’Alice Guy étaient attribués à d’autres hommes, avant que cette dernière ne lui fasse remarquer ses méprises. Une histoire d’homme, par les hommes, pour les hommes?

Alors qu’aux Etats-Unis son héritage est largement reconnu (Martin Scorcese lui a remis le prix Lifetime Achievement Award qui honore l’ensemble de sa carrière), il est plus difficile en France de se procurer son autobiographie et d’avoir accès à ses films. Pourtant lorsqu’on lit le récit de sa vie, qui a été une véritable épopée, on a du mal à comprendre pourquoi son histoire n’a pas déjà été reprise par un scénariste pour un énième « biopic ».

Peut-être un jour l’immense héritage d’Alice Guy sera-t-il enfin reconnu, mais en attendant ce que l’on retient de son autobiographie, c’est le pouvoir sans limite de sa passion pour le cinéma, moteur presque incontrôlable d’une vie passée à braver les obstacles qui se dressaient devant les femmes il y a un siècle.

Comme un constat doux-amer de son existence elle conclut elle-même son livre sur cette citation de Roosevelt:

« Il est dur d’échouer, il est pire de n’avoir jamais essayé ».

A lire:

Alice Guy, Autobiographie d’une pionnière du cinéma (1873-1968), présentée par Musidora, Denoël/Gonthier, 1976. Préface de Nicole-Lise Bernheim.

traduit en anglais : The Memoirs of Alice Guy Blaché, édité par Anthony Slide, Scarecrow Press, 1996

A voir:

The Consequences of Feminism (les résultats du féminisme) - Alice Guy Blaché, 1906


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