Le titre du recueil de Cédric Le Penven, Juste un arbre Juste, exprime, par la répétition troublante de l'adjectif, à la fois la simplicité et l'importance de l'objet qui en est l'origine : un « arbre », dessiné par Jean-Gilles Badaire et adressé au poète. Pourtant, la première page insiste sur sa fragilité :
« Un arbre
Juste un arbre, et moins qu'un arbre pourtant. Le dessin d'un arbre, trouvé ce matin dans une
enveloppe adressée par le peintre ami »
Un objet de peu donc, à la « présence maigre ». De fait, les reproductions des dessins noir et blanc de Jean-Gilles Badaire montrent des arbres resserrés aux branches précaires, tendues vers le ciel, légèrement courbées. Si peu, en somme, qu'ils semblent comme égarés, restes d'une autre vie (« Ou bien cet arbre n'a-t-il jamais été que ce qu'il reste d'un arbre, comme un rêve échappe à la mémoire dans ses derniers balbutiements »).
De ce premier regard, cependant, s'ouvre un « sillon » inattendu de langue et d'émotion. « Cet élan à la découverte d'un dessin » commence par des considérations sur l'image que le poète a sous les yeux, sur la silhouette de cet arbre et l'horizon à son pied, son probable paysage. Mais, progressivement et par l'intermédiaire du dessin, viennent à être interrogés autant le « chêne qui traverse le cadre de la fenêtre » que les angoisses de la mémoire (« l'enfance au travers de la gorge »), les joies de la paternité (« ce bonheur en intraveineuse chaque fois que mon fils s'abandonne entre mes bras ») et une manière « juste » d'écrire et d'être parmi cela.
Cet arbre est donc la « source pérenne » des mots. Sa justesse – et sans doute sa beauté – naît du fait qu'il les mène au-delà de lui. Ainsi, il s'accorde d'abord avec l'apparence du verger l'hiver. Il incarne en cela, comme les arbres dehors, une belle obstination à vivre « le temps de l'épreuve ». Dans sa présence sobre se dit une possible éthique du retrait loin des vaines « exubérances qui attirent trop le regard » (« Un arbre nu, en hiver // Je voudrais aller ainsi dans le monde, visage offert aux autres, bras le long du corps »).
Mais, au fil du recueil et de la saison, les arbres du jardin s'écartent du dessin et en désignent la limite :
« Quelques traits esquissés figurent des branches qui n'ont jamais eu de sève. Le peintre a
donné un arbre sans feuilles, au cœur d'un hiver qui ne cessera jamais
Voilà ma lassitude désormais
Retourne aux arbres dont les feuilles se déroulent »
Il ne faut pas voir là une manière de se séparer du dessin une fois l'hiver passé. Une tension entre « cet arbre esquissé » et le verger perdure et permet d'approcher de ce qu'il y a de plus sensible dans nos vies, notre manière de nous tenir dans le temps et son ouverture. Si le dessin est sans vie, il n'est pas sans valeur. Peut-être plus qu'une nature en attente, il accueille une nature déjà morte. Il inquiète donc. Mais, parce qu'il appartient à ce qui est « le plus sombre », il désigne mieux encore, par contraste, le cycle de la vie, la beauté et « l'énigme » de ce qui agit tout à fois avec les arbres dehors et le fils qui grandit, puisque c'est tout un (« L'énigme de cet arbre face à moi, du visage de mon fils »). En cela, dans sa nudité, « l'arbre dessiné par Jean-Gilles dessille ».
Antoine Bertot
Cédric Le Penven / Jean-Gilles Badaire, Juste un arbre Juste, Æncrages & Co, collection « Ecri(peind)re », 2018, 21€