Magazine Musique
Si besoin était de le prouver, l’évolution récente de sa scène culturelle suffirait à montrer que la Syrie n’est plus ce pays bloqué vivant dans un autre âge, comme coupé du monde. A l’unisson des autres pays de la région, la production musicale y a connu un véritable tournant il y a une dizaine d’années. Est apparue alors une génération d’artistes désireux d’apporter une nouvelle interprétation du répertoire traditionnel en l’ouvrant aux courants musicaux apportés par la mondialisation.
Il y a une spécificité syrienne toutefois, celle de la faiblesse du secteur privé qui commence tout juste à se développer, y compris dans le marché des biens culturels, conjointement à l’existence de structures nationales de formation qui peuvent être de qualité. Dirigé par la comédienne Mai Skaf (مي إسكاف), al-theatro reste encore pratiquement le seul espace où la riche scène musicale alternative syrienne, souvent issue du Conservatoire national, peut rencontrer son public, en concert, le jeudi soir (jour de week-end).
La fondation du groupe Kulluna sawa (كلنا سوى : Tous égaux) au milieu des années 1990 marque sans doute les premiers pas d’une nouvelle orientation musicale saluée par le grand public un peu plus tard, lorsque le groupe sort son premier disque en 1999.
Une orientation prolongée aujourd’hui par le groupe Hiwar (حوار : dialogue). Créé en 2003 par Kinan Azmeh (كنان العظمة) et Issam Rafea (عصام رافع), il associe quelques-uns des meilleurs interprètes locaux. Prenant appui sur leur très solide formation, à la fois orientale et occidentale (Kinan Azmeh par exemple a achevé ses études de musique à la Julliard School of Music), ils offrent ce que nombre de spécialistes considèrent comme l’une des versions les plus convaincantes de ce courant régional qui propose une sorte d’Oriental fusion (comme on parle en espagnol de flamenco fusion).
Comme l’affirme un festival qui existe depuis quelques années à l’initiative d’un returnee Hannibal Saad (هانيبعل سعد), Jazz lives in Syria et, parmi les interprètes syriens de ce que Ziad Rahbani n’aime pas trop qu’on appelle le "jazz oriental", il faut bien sûr mentionner le nom de Lina Shamamian (لينا شماميان). En compagnie du saxophoniste et trompettiste Basel Rajoub (باسل رجوب), cette chanteuse d’origine arménienne connaît elle aussi un très grand succès, salué en 2006 par un prix décerné par Radio Monte-Carlo (en arabe) à leur premier CD, Asmar al-lawn.Un succès qui avait d’ailleurs suscité une intéressante querelle juridique, totalement inédite pour le pays, celle de la propriété intellectuelle des classiques du répertoire arabe dès lors qu’ils sont non seulement réorchestrés mais véritablement réinterprétés par les musiciens actuels.
Sans surprise, on trouve aussi un rock syrien, avec le groupe du guitariste Anas Abdel Moumen (Anas and Friends), ainsi qu’une sorte de new folk oriental dont le groupe Itar Shameh est sans doute le représentant le plus célèbre.
Signe de la complémentarité des deux pays, en dépit des aléas politiques, c’est le distributeur libanais Incognito qui permet de se procurer les CD de tous ces musiciens, à défaut de pouvoir les entendre sur place. Au catalogue de ce distributeur, figure aussi Twais (طويس), un autre groupe syrien particulièrement apprécié des mélomanes.
Le nom de ce quartet, fondé en 2004 et dirigé par Isam Rafea, le oudiste du groupe Hiwar, est un hommage à l’un des premiers musiciens arabes dont la tradition a conservé le souvenir, un chanteur du VIIe siècle, né à Médine et mort dans le sud de la Syrie.
Manière de dire que les artistes qui proposent cette musique alternative n’entendent pas se couper d’une "authentique tradition" pieusement recueillie au Conservatoire national. Ils veulent au contraire la conserver vraiment vivante, c’est-à-dire non pas reléguée au musée du passé mais renouvelée, revivifiée, par les apports des musiques d’aujourd’hui.