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(Brèves de lecture) Herman Melville, Jacques Josse, Jean-Christophe Belleveaux

Par Florence Trocmé

Melville  Moby DickHerman Melville
Moby-Dick ou Le Cachalot
Édition et trad. de l'anglais (États-Unis) par Philippe Jaworski. Illustrations de Rockwell Kent
Collection Quarto, Gallimard, 2018
1024 p. 146 ill., 25€ - sur le site de l’éditeur
« D’autres poètes ont mélodieusement chanté l’antilope à l’œil tendre et le joli plumage de l’oiseau qui jamais ne se pose ; plus prosaïque, je célèbre une queue ».
Herman Melville, Moby-Dick, chap. 86.  Traduction de Philippe Jaworski.
Philippe Jaworski vient de composer pour la collection Quarto de Gallimard un volume de 1024 pages (25 euros) qui contient sa traduction de Moby-Dick et de nombreux documents, parmi lesquels se trouvent notamment les trois lettres bouleversantes que Melville adresse à Nathaniel Hawthorne en 1851 (l’année de Moby-Dick).
Dans son introduction, « Souffle là ! Souffle là ! C’est Moby Dick », le traducteur pointe avec une merveilleuse acuité l’apport dramatique d’un point-virgule.  Il écrit :
Mais qui se souviendra de ce point-virgule qui suspend un instant le bond ultime de la proie s’échappant vers un avenir, ou un devenir, sans contour ?
En effet, Jaworski signale comme personne avant lui ne l’avait fait la partition de cette phrase du chapitre 135 (le dernier avant l« Epilogue ») :
« Le harpon fut lancé ; le cachalot touché bondit en avant ; avec la rapidité d’une flamme, la ligne se dévida dans la rainure ---et s’engagea. »
Et le traducteur commente : Au troisième et dernier jour de chasse, c’est ainsi que le « cachalot exterminateur » disparaît aux regards, son monumental effacement [je souligne] marqué par un discret, presque imperceptible point-virgule.
Une tête, une queue, le point-virgule, par son graphisme même a quelque chose de la baleine… Une queue : une séquelle, et un formidable rebond.
Claude Minière

Jacques Josse  débarquéJacques Josse
Débarqué
La Contre Allée, 2018
160 p., 16€
Le narrateur du récit est l’auteur lui-même qui, dix ans après la mort de son père, reprend le fil ininterrompu d’un lien discret avec un père qui n’aura pas vécu la vie qu’il rêvait de vivre, celle d’un marin (au long cours), mais celle d’un débarqué dans une vie à terre malgré lui, à cause d’une maladie. Cette biographie trouée (Jacques Josse avance vers son père par fragments), ou autobiographie du père (d’une vie d’un fils dans la vie d’un père), est celle d’un silencieux qui aura légué l’art du silence évocateur à son écrivain de fils. Avec la pudeur qu’on lui connaît, Jacques Josse, en son rythme de flux et reflux maritime et paisible, s’avance dans des souvenirs d’une précision frappante, très souvent douloureux. Fils d’une laveuse de morts, Jacques Josse vit en compagnie des morts, dont il collecte des morceaux de vie, et colle à la mort, celle qu’il nomme « la tombeuse », emmanchée « d’un croissant de lune bien aiguisé » ; élaborant livre après livre sa propre « légende de la mort ». Sa légende familiale est peuplée de morts, celle d’un frère, d’une sœur, sur lesquelles Jacques Josse revient avec une acuité d’évocation bouleversante et qui mènent vers une vie qui s’éteint depuis longtemps et progressivement pour partir en fumée dans le dernier texte du livre.
Jean-Pascal Dubost
JC Belleveaux  territoires approximatifsJean-Christophe Belleveaux

Territoires approximatifs
Faï Fioc, 2018
112 p., 10€
Un poète hybridement monstrueux rassemblant les traits de Lautréamont, de Baudelaire, de Nerval et de Cendrars erre à travers le monde d’une phrase de début de troisième millénaire, « une marée noire de substantifs poisseux » ; héraut d’une moderne mélancolie, il dit : « je vais regarder de loin mon propre gémissement » ; et « je » n’est pas un autre. C’est un Renonçant qui va jusqu’au bout de son « Graal absurde », l’Ennui, mais à l’encontre du courant de sa fatigue, ne gisant pas dans sa geinte. Si sa chair est triste, lasse, et son corps pesant, il va sans hélassitude, car avec un acharnement contradictoire d’amant de la vie et d’amant de la mort. Sa langue est bouillonnante et charnelle, le mal-être ardent, le poème fiévreux ; d’un poète qui « envisage la stupeur comme ligne de mire ». Le rythme fait entendre une voix qui a charrié les plaisirs de la vie, les charrie encore et accumule mille ans de souvenirs et de choses vues, en chaotique, car il y a « afflux sensoriel, tourbillon des affects, une chauve-souris dans le beffroi ». Quelque chose envoûte dans cette voix écrite qui ne vous berce d’aucune illusion, ne porte aucune promesse de sauver le monde, mais qui prend l’instant des mots et de la phrase à bras le corps, avec de l’amour noir.
Jean-Pascal Dubost


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