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J'ai toujours beaucoup aimé l'odeur des musicassettes. Que voulez-vous ce mélange de plastique, d'encre, d’oxyde de fer, de choses plus ou moins chimiques et cancérigènes a toujours tout eu pour réjouir mon odorat en quête d’effluves divers et variés. Je ne voudrais pas jouer aux Marcel Proust d’opérettes tout en trempant sans inadvertance ma musicassette dans mon troisième Earl Grey du jour, mais figurez vous que je me souviens avoir acheté cette version embobinée de More Songs About Buildings and Food au Foyer du 74e Régiment d'Artillerie de Belfort. C'était en 1987, j'effectuai mon service militaire dans cette sautillante contrée circonscrite dans une morne trouée entre les Vosges et le Jura. La trouée était assurément morne, mais la musicassette était vraiment bien. La reniflant aujourd’hui d'une narine distraite et un peu hasardeuse je dois avouer ne pas avoir été déçu, les senteurs d'encre se sont un peu évaporées, mais le reste est toujours là, tenace, prégnant et indompté… Vous allez me dire que je noie mon sujet comme un chinois madré pourrait noyer une carpe innocente, que je ne vous parle pas de ce qui est enregistré sur cette fameuse musicassette pleine d'exhalaisons synthétiques. Vous aurez raison, ce n'est pas grave vous savez déjà tout : le magnifique travail du déplumé en chef Eno, la parfaite brasure conjugale de l’ensemble rythmique, la voix et les mots de l'expert-comptable schizophrène Byrne, la charpente étonnamment brinquebalante des chansons, les rythmes saccadés… Vous savez tout ça, d'ailleurs, on ne vous la fait pas, vous êtes déjà en train d'écouter The Good Thing cette chinoiserie imparable, une merveille.