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Rafiki, de Wanuri Kahiu

Publié le 10 mai 2018 par Africultures @africultures

Connue pour son court métrage de science fiction Pumzi, Wanuri Kahiu a présenté au 71ème festival de Cannes son premier long métrage dans la section officielle Un certain regard, première sélection d’un film kenyan à Cannes. Le film, qui porte sur une relation lesbienne, a dans la foulée été interdit au Kenya.

Kena et Ziki, deux jeunes filles vivant dans le même quartier de Nairobi tombent amoureuses. C’est le début d’une belle histoire mais aussi d’un drame… Voilà un sujet brûlant et surtout courageux pour le premier long métrage d’une jeune cinéaste d’un pays où les relations entre personnes du même sexe sont punies de 14 ans de prison ! Le festival de Cannes a souvent eu tendance à sélectionner des films d’Afrique pour leur contenu sociologique ou réaliste plutôt que pour leur originalité cinématographique. C’est encore le cas ici, le film adoptant largement les codes lui permettant de toucher le grand public, tant il cherche à convaincre d’une idée simple : une relation homosexuelle est une histoire d’amour, point barre.

Donc, comme le dit Mme Atim, la tenancière du maquis qui sert de base de rencontre aux deux jeunes femmes et qui voit tout, sait tout et le répète à l’envi : « Aujourd’hui, il va neiger au soleil ! ». Effectivement, outre le scandale d’une relation lesbienne, c’est le fait qu’elle se joue entre les filles de deux candidats aux élections locales qui fait monter la pression en risquant de ruiner leur campagne. Inspiré du livre « Jambula Tree » de l’Ougandaise Monica Arac de Nyeko, le film, dont le titre signifie « ami » en swahili, adopte dès lors une structure des plus classiques : une longue approche, puis la déclaration d’amour, puis le scandale, puis la violence, puis l’intervention des familles pour séparer les deux jeunes femmes, et enfin l’épilogue quelques années plus tard. Tout cela reste très fleur bleue et très prude à l’écran : nous ne verrons que des baisers et quelques caresses. Pas de quoi donc affoler tout le monde, si bien que le fond du problème de l’interdiction du film au Kenya et des menaces proférées contre sa réalisatrice est bien que dans ce pays l’homosexualité est considérée comme un crime.

Rafiki, de Wanuri Kahiu

C’est justement contre cela que se bat la réalisatrice qui voudrait contribuer à l’évolution des mentalités pour déconstruire la violence à laquelle sont confrontés les membres de la communauté LGBT. Le film n’est pas un plaidoyer mais une histoire vécue, centrée sur la pureté d’une relation amoureuse. C’est ainsi que Wanuri Kahiu tente de démonter les affirmations habituelles comme quoi l’homosexualité serait contre nature, alors que l’homme fait partie du règne animal et que les observations  montrent qu’un tiers des animaux au moins a des relations homosexuelles avérées, non pour se reproduire mais simplement pour le plaisir. Ce n’est donc ni contre nature ni un produit de la perversion occidentale puisqu’elle a toujours existé en tous lieux, souvent cachée pour éviter les répressions. Pourquoi une telle violence contre la différence ? C’est la question posée par le film alors que les deux jeunes filles voudraient simplement pouvoir habiter ensemble pour vivre leur relation dans la sphère privée, sans gêner les autres.

Pour convaincre, Wanuri Kahiu adopte un style jeune, un rythme soutenu, une caméra volontiers proche des visages, captant les regards qui se cherchent puis interrogent les incertitudes. Le film est parsemé de passages où l’on retrouve le type de musique pop du long générique, Ziki s’entraînant à la danse avec des amies. Les deux actrices assument leur rôle à merveille pour faire passer la sauce de cette bien improbable relation vu les réticences familiales et le contexte politique. Alors que les autres acteurs principaux sont des comédiens célèbres au Kenya, les deux jeunes femmes étaient inconnues. Il leur fallut l’accord de leurs familles.

Wanuri Kahiu avait reçu le soutien des autorités gouvernementales et de l’industrie cinématographique nationale. Mais le KFCB a accusé les producteurs d’avoir changé le script original, qui ne contenait pas de scènes d’intimité entre les actrices. « Notre point de vue est que la morale de l’histoire de ce film est de légitimer le lesbianisme au Kenya », a indiqué l’instance. « Toute tentative visant à introduire et à normaliser l’homosexualité au Kenya va à l’encontre de la loi et de la Constitution et doit être combattue », a-t-elle insisté.[1]

La réalisatrice est déçue de l’interdiction du film au Kenya : elle espérait une interdiction aux moins de 18 ans. « C’est une violation de la liberté d’expression, a-t-elle déclaré, et cela donne une rude idée de ce que peuvent faire les artistes et de ce qu’ils peuvent dire. Ces artistes ne sont pas autorisés à rendre compte des différentes façons de penser des gens et de notre société ».

[1] Dépêche France 24.


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