Quatrième de couverture :
Le génie de Romain Gary, c’est sa mère.
Mais le mystère Gary, c’est son père, au sujet duquel le romancier-diplomate a toujours menti.
Laurent Seksik lève le voile sur ce mystère en ressuscitant la véritable figure du père, dans un roman à la fois captivant, bouleversant et drôle, où la fiction fraternise avec la réalité pour cerner la vérité d’un homme.
Si Romain Gary dresse un portrait de mère éblouissant dans La promesse de l’aube, il parle peu de son père, qu’il s’invente acteur russe séducteur. Laurent Seksik a sans doute voulu rendre hommage au vrai père de Roman Kacew. Arieh Kacew est un « simple » fourreur juif du ghetto de Wilno (à l’heure o Vilnius était encore Polonaise), dans sa famille on est fourreur de père en fils et on est très croyant car on descend de la tribu la plus importante des enfants d’Israël, celle des Cohen. Mais Arieh n’est pas un homme tout à fait parfait : il a dû arracher la bénédiction de son père pour épouser une femme « pas assez bien pour lui », Nina à qui il donnera un fils et qui sera tellement instable sentimentalement qu’il finira par la quitter pour une autre, la laissant dans la colère et le désespoir qu’elle sait si bien surjouer quand il le faut. Le jeune Roman grandira donc sans père, mais en admirant secrètement celui-ci au point de lui confier son désir de devenir fourreur à son tour, au grand dam de Mina. Ce sont la misère et les rêves exaltés de Nina qui la conduiront avec son fils sur le chemin de la France, jusqu’à Nice.
On sent que Laurent Seksik connaît bien La promesse de l’aube (un certain M. Pieklielny apparaît dès les premières pages de son roman et y joue un rôle non négligeable) : il a voulu rendre justice à la figure paternelle de Romain Gary, lui donner de la chair, compenser un peu le peu de place que lui a laissé la flamboyante Nina. Et en écrivant ce roman bien documenté (comme toujours), en condensant sur la journée du 26 au 27 janvier 1925 la décision qui scelle définitivement les rapports entre père et fils, il rend aussi justice à Arieh Kacew et à travers lui, à tous les Juifs de Wilno dont les ancêtres ont connu les pogroms de 1919 et qui seront complètement décimés par les nazis puis par les soviétiques. Le roman trouve son épilogue en 1943 au moment où le ghetto est sur le point d’être totalement « liquidé » par l’occupant allemand. Un certain M. Kacew a vécu et est mort à Wilno…
« Nina détestait tous les Kacew. En un sens, elle avait l’esprit de famille. Elle les détestait avec l’excès qu’elle appliquait à toute chose, les détestait sans nuances, avec une violence irraisonnée, une férocité jamais feinte. Elle excellait dans l’art de la détestation, haïssait avec un talent fou, trouvait toujours le mot juste et le terme assassin, et si sa rancœur contre tel ou tel individu s’adoucissait – car elle était capable de se réconcilier avec la même promptitude qu’elle pouvait s’enflammer contre quelqu’un -, alors elle se découvrait un nouvel adversaire, ouvrait un nouveau front. Nina était en guerre contre une succession de cibles, individus proches ou lointains qui formaient comme la parade d’effigies défilant au stand de tirs dans les fêtes foraines. »
« La vie s’exprimait ici dans toute sa joyeuse fureur, son exaltation débordante, on était au cœur battant du ghetto, c’était le cœur vivant du monde. La clameur du jour balayait le souvenir des jours noirs. On se laissait griser par une ivresse infinie, la vie n’avait plus rien d’éphémère, le présent était éternité. Ces pieux vieillards à la barbe grise, ces femmes à la beauté sage, ces enfants aux yeux pétillants, ce merveilleux peuple de gueux marchait ici un siècle auparavant et arpenterait ces rues dans cent ans, ce peuple-là est immortel. Philippe Auguste leur avait élevé de grands bûchers, Saint Louis les avait expulsés tout comme le bon roi Dagobert, furieux qu’avec tant de provocante insistance ils s’accrochent à leur foi. Depuis le XIVe siècle, ils avaient été chassés tour à tour par les Allemands, les Autrichiens, les Lituaniens et les Russes, les voilà toujours aujourd’hui, vendant du hareng, et des livres, leurs enfants courant auprès d’eux. L’Éternel a créé le jour, l’Éternel a créé la nuit. On ne peut vivre chaque seconde en songeant que c’est la dernière. Tous auront disparu vingt ans plus tard, excepté le petit Roman, quand l’heure allemande sera venue. »
Laurent SEKSIK, Romain Gary s’en va-t-en guerre, J’ai lu, 2017 (1è édition : Flammarion, 2017)
Quelques jours en compagnie de Romain Gary…