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Un certain M. Piekielny

Publié le 15 mai 2018 par Adtraviata

Un certain M. Piekielny

Quatrième de couverture :

« »Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… » 
Quand il fit la promesse à ce M. Piekielny, son voisin, qui ressemblait à « une souris triste », Roman Kacew était enfant. Devenu adulte, résistant, diplomate, écrivain sous le nom de Romain Gary, il s’en est toujours acquitté : « Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme », raconte-t-il dans La promesse de l’aube, son autobiographie romancée. 
Un jour de mai, des hasards m’ont jeté devant le n° 16 de la rue Grande-Pohulanka. J’ai décidé, ce jour-là, de partir à la recherche d’un certain M. Piekielny.

Si je cherche dans mes souvenirs de lectrice, j’ai déjà lu des romans comme Agatha Christie, le chapitre perdu qui imagine ce qu’a fait la romancière quand elle a disparu quelques jours en 1926, ou des romans mettant en scène des personnages bien réels, mais jamais un roman qui même aussi intimement son auteur et un autre auteur.

François-Henri Désérable aime et connaît profondément Romain Gary, cela se sent. C’est un concours de circonstances qui l’amène à Vilnius, au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, là où a habité celui qui s’appelait alors Roman Kacew. Et il est capable de se réciter de mémoire : « Au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilmo, habitai un certain M. Piekielny. » Cette phrase de La Promesse de l’aube que M. Piekielny, « la souris triste à la barbe roussie par le tabac », prenant au sérieux les rêves fous de Mina, la mère de Roman, demande au garçon de répéter devant tous les grands de ce monde qu’il rencontrera quand il sera célèbre.

Alors François-Henri, F.-H., entreprend une vaste enquête pour retrouver la trace de ce M. Piekielny, homme discret qui a fini une balle dans la nuque au bord d’une des centaines de tombes creusées par et pour les Juifs autour de Wilno (l’actuelle Vilnius). Et ce faisant il évoque forcément l’auteur Romain Gary, à la fois d’après ce qu’il raconte de lui dans La Promesse de l’aube et d’après des documents historiques. Et un auteur parlant d’un auteur parle forcément aussi de lui-même, de son rapport à la littérature, à l’écriture. Et en littérature, la frontière entre la fiction et la réalité est soit aussi épaisse qu’une feuille e papier à cigarette, soit aussi opaque qu’un écran de fumée bien entretenu…

Enquête littéraire, hommage à Romain Gary, célébration de la littérature, plongée dans le passé éclairant le présent, Un certain M. Piekielny, c’est tout cela à la fois et c’est un livre très plaisant à lire : la plume de François-Henri Désérable est vive, pétillante, pleine d’humour, elle sait aussi se faire grave et émouvante quand elle évoque la fin des Juifs de Wilno ou quand l’écrivain-enquêteur se heurte à des impasses. Mon seul petit point d’interrogation, c’est pourquoi on a qualifié ce livre de roman. Peut-être parce que F.-H. enjolive lui aussi la réalité, comme Romain et sa fabuleuse mère ? En tout cas cela donne envie de se replonger dans les romans de… Roman.

« Gary, on le voit, ne faisait pas la guerre. Qu’est-ce que c’est d’ailleurs que la guerre ? Le massacre de gens qui ne se connaissent pas, disait Paul Valéry, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. Un amplificateur d’héroïsme et de bassesse. La meilleure part de hommes, et la pire. La fureur de vivre décuplée par l’imminence de la mort. et aussi, pour les Français de Londres, un salon mondain sous les bombes. » (p. 109)

« C’est peut-être ça et rien de plus, être écrivain : fermer les yeux pour les garder grands ouverts, n’avoir ni Dieu, ni maître et nulle autre servitude que la page à écrire, se soustraire au monde pour lui imprimer sa propre illusion. »  (p. 121)

« C’était à Roger Grenier qu‘il fallait poser la question. Roger Grenier, quatre-vingt-quinze ans, écrivain, éditeur chez Gallimard où depuis 1949, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, il se rend à pied chaque jour que Dieu fait. Pendant longtemps, son rituel fut le même, immuable et sacré : levé a six heures, deux minutes plus tard il était sous la douche, à six heures douze il se rasait, à six heures vingt il enfilait un pantalon puis boutonnait sa chemise, entre six heures vingt-cinq et six heures cinquante il buvait son café en lisant les journaux, à sept heures moins cinq il passait autour de son cou une cravate qu’une minute après il avait fini de nouer, à sept heures moins une il chaussait ses lunettes, et a sept heures précises, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige il sortait de chez lui, rue du Bac, qu’il descendait d’un pas ferme sur lequel les habitants du VII‘ arrondissement réglaient leurs petites habitudes : le voyant qui passait devant ses fenêtres, le boulanger savait qu’il était temps de sortir son pain du four, la mère de famille de réveiller ses enfants, le facteur d‘enfourcher sa bicyclette et de commencer sa tournée. de sorte que, le 3 décembre 1980, au lendemain de la mort de son cher Romain. quand Roger Grenier. accablé de tristesse, dut garder le lit, il y eut des baguettes trop cuites, des enfants en retard à l’école et du courrier non distribué. L’anarchie. » (p. 136)

François-Henri DESERABLE, Un certain M. Piekielny, Gallimard, 2017

Le billet très attirant de Kathel

Après cete lecture, c’est décidé, je passe quelques jours avec Romain Gary.


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