Guillaume Condello publie Ascension au Corridor Bleu (livre soutenu par le CNL).
C’est un livre
nous repartons
nous y inscrivons
silencieux
nos poèmes
muets savants
dans les marches
poèmes ce sont nos corps
jusqu’au prochain point de vue
photographie
sur un téléphone ou un appareil les vues
s’imposent
pas besoin de guide pour cela nous suivons
le chemin
et les arrêts aménagés ce sont des temples
dans un style ancien
nous reprenons
le chemin
lui-même est une ligne sûre
sous le pinceau
nous marchons
jusqu’à un temple abandonné il est inscrit au creux
d’une sorte de grotte il y a aussi
un hôtel nous visitons les chambres vides climatiseur
arrachés sur les lits les draps n’ont pas été enlevés
ni la poussière meubles cassés dans l’urgence du
cataclysme on dirait
des souvenirs
oiseaux mécaniques en cage
de bambou déplumés des
porte-clés poussiéreux et
des théières depuis longtemps
dans la boutique
fermée
portes béantes comme la bouche d’un mort
abandonnées
bouteilles vides des dents cassées
et le toit
au-dessus
respiration coupée
les statues grimacent dans le vide seuls
les moustiques
autour d’un saint bouddhiste
silhouette blanche doublée sur l’eau étale
miroir
androgyne ils lui font
une gloire tremblante
rapidement
la pluie grêle sa surface en-dessous
les poissons observent les sommets
inversés nous passons
dans le ciel
les immortels marchent
à nos côtés nous voulons
les imaginer peinant sans doute
moins que nous
Li Bai Du Fu
lequel est l’aîné de nous deux je suis
plus vieux je sens
que le sommet n’est plus très loin mon cœur
tient encore
mon ami marche devant il connaît le chemin
comme Pétrarque et son frère mais
ce n’est pas le mont Ventoux je pense
que je vais vomir
(...)
Guillaume Condello, Ascension, Le Corridor bleu, 2018, 80 p., 10€
Sur le site de l’éditeur :
Pour le temps d’une ascension, Guillaume Condello s’inscrit dans les pas de Pétrarque, et la route qu’il a ouverte : puisant aux sources des récits de voyage aussi bien que dans celle des écrits des mystiques, décrivant la nature dans son altérité radicale et son impossible domestication, le tout sur fond d’une Chine qui n’en finit pas de s’éveiller à l’horreur policée des villes tentaculaires, des centres commerciaux interminables, il y décrit cet arrachement impossible au monde qui est la condition même de l’existence en poète – et sans doute aussi humaine. C’est donc au récit d’une ascension ou d’une ascèse impossible, et pourtant nécessaire, que nous assistons dans ce texte. Dans la filiation d’une narration épique moderne revitalisée par William Carlos Williams, l’écriture de Guillaume Condello se fait ici plus narrative que dans les deux premiers livres, et ne craint pas de mêler la prose et le vers, les stases contemplatives au rythme haché avec les passages logorrhéiques, pour donner à voir une expérience, et tenter de dire quelque chose de ce qui nous arrive, de ce que nous sommes.
Chronique de Pierre Vinclair
Guillaume Condello est né en 1978 à Nice. Il vit et enseigne la philosophie en région parisienne. Il dirige, avec Laurent Albarracin et Pierre Vinclair, la revue Catastrophes, où il présente en outre des traductions (anglais). Il a notamment publié Les Travaux et les Jours et Alexandre (éditions Dernier Télégramme).