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Adrian Ghenie, Jungles in Paris

Publié le 14 mai 2018 par Thierry Grizard @Artefields

Adrian Ghenie, la violence picturale sous toutes ses formes

Jungles in Paris, galerie Thaddaeus Ropac, Marais


Adrian Ghenie, art contemporain, artiste peintre, peinture, exposition, galerie Thaddaeus Ropac | Publié par Thierry Grizard le 14 mai 2018 pour artefields.net.

Adrian Ghenie, dans cette exposition fait preuve d’une virtuosité stupéfiante que l’on pourrait croire un peu vaine. Passé ce premier sentiment, on saisit pourtant, avec force, comment l’artiste roumain parvient à se renouveler dans un syncrétisme stylistique presque sauvage et irrespectueux.

La virulence habituelle de ses propos, d’ailleurs assez pessimistes, sur l’histoire de l’humanité et sa monstruosité intrinsèque, trouve ici une manière plus personnelle, moins empruntée à Bacon ou autres, de figurer picturalement la brutalité du monde des hommes.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

Les voies picturales de la violence

Ghenie a débuté sa carrière avec quelques tableaux d’histoire aux connotations expressionnistes, voire même, par certains aspects, d’inspiration symboliste mâtinée d’une vision du monde Kafkaïenne stigmatisant les dictatures politiques, notamment le régime des Ceausescu.

Cette première veine donna ensuite naissance aux portraits de monstres échappés des pires cauchemars éveillés de l’histoire moderne, et figurés dans une facture largement inspirée de la  violence picturale « baconienne ». A l’occasion de la biennale de Venise 2015, les méandres putréfiés de végétaux et les paysages organiques (inspirés de van Gogh) prirent le relais. Cette fois-ci, c’est le Douanier Rousseau qui est convoqué, mais la citation se montre plus anecdotique. Elle ne sert à Adrian Ghenie que de prétexte formel pour dépeindre d’autres catastrophes humaines.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

Les dangers de la virtuosité

Mais alors qu’il parvenait dans la veine baconienne à s’élever à la puissance d’angoisse du mentor, quand, en particulier, il s’attaquait gestuellement aux portraits des tyrans et autres sociopathes de l’histoire du XX° siècle, ici on a l’impression première que l’extrême habilité technique du quadragénaire tourne quelque peu à vide. En effet, on est immédiatement subjugué par la virtuosité syncrétiste de l’artiste qui oscille entre les traits de CoBrA (dans la relation à l’espace pictural), l’abstraction par addition de Gerhard Richter et des éléments réalistes très convaincants.

La démonstration technique pourrait sembler être le propos même de cette exposition qui met en scène cinq grands tableaux présentés dans la dernière salle. Les travaux préparatoires que l’on trouve dans le premier espace, pour les collages, et à l’étage, pour les grands dessins au fusain, accentuent cette impression de cheminement propédeutique vers les cinq pièces maîtresses exposées, de manière assez ostentatoire, comme une sorte d’aboutissement magistral.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

Collages à la peinture à l’huile

Les collages sont eux mêmes très brillants et sophistiqués, à tel point que certaines toiles n’en sont que la projection à l’huile dans une dimension monumentale. C’est le premier tour de force du peintre qui parvient à transcrire « à l’huile » et en grand format l’éclatement, des matières, des formes et de la géométrie, inhérent à la technique des collages qui rappelle, et Dada, et — pour l’aspect organique — Giuseppe Arcimboldo, voire la tradition des masques bachiques, (les autoportraits en Van Gogh étaient déjà de cette facture). Les ruptures de textures sont parfaitement reproduites avec de formidables excès de matières aux frontières pourtant franches et incisives. De même les changements brutaux de registres stylistiques, de textures et d’échelles spécifiques des collages sont exploités avec une habilité qui force l’admiration.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

On passe de détails très réalistes tels que les effets de diffractions, des franges de matières détaillées, ou le flouté azuré de l’océan pacifique à de grandes griffures et des magmas de matières qui suggèrent dans le registre pictural, par le seul geste du peintre, la violence qui constitue le motif central du tableau. Il y a des citations qui s’accolent et s’agrègent, on discerne une référence aux fleurs de Van Gogh déjà exploitées dans la série « Darwin’s Room », mais aussi des citations de Piero Di Cosimo pour « Le Feu de forêt » qui donne lieu à des fragments décoratifs tout droit issus de la Renaissance florentine. Même chose, pour les grandes traces à la raclette qui en étirant l’huile floutent le motif exactement comme chez Richter. Ailleurs, c’est Fernand Leger et le « tubisme » qui se juxtapose à des ornements abstraits tirés des Edens perdus d’Henri Rousseau, et ainsi de suite.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

Des mérites du syncrétisme

Ces cinq toiles sont donc bien des assemblages hétérogènes comme l’est un collage où le réel se bouscule dans des rapports incongrus de dimensions, couleurs et textures.  L’exercice formel a donc consisté, pour Adrian Ghenie, à préserver les ruptures propres aux collages ce qui peut procurer, après l’admiration de tant de talent, un sentiment de doute sur la teneur en soi de l’œuvre. Toutefois, en s’éloignant des tableaux et donc de la touche experte, ou en se les remémorant, leur singularité se dévoile enfin. On peut alors conclure que la démarche du peintre roumain reste constante, qu’elle est toujours aussi accaparée et habitée par l’effroi surgi de l’observation de l’histoire des hommes.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

La virtuosité n’est donc pas vaine, elle sert un propos obsessionnel et cardinal ainsi qu’un questionnement sur l’espace pictural et sa capacité à exprimer l’horreur, la révolte et l’angoisse. Ghenie continue bien à représenter le chaos de l’histoire et du monde. Après s’être livré à des mises en scènes expressionnistes, puis existentialistes à la Bacon, il a trouvé une voie plus juste pour figurer le chaos des temps.

Le procédé des collages étendus à la toile fragmentée, éclatée aussi bien pour les registres proprement picturaux, que les citations stylistiques, parvient très efficacement à « rendre » la violence, peut-être bien davantage que la gestuelle expressionniste à la CoBrA, ou la représentation littéraire des scènes de l’horreur ou la déréliction.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.

Figurer l’indicible violence

Il a fallu, par conséquent, à Adrian Ghenie parcourir plusieurs des champs picturaux — Bacon, CoBrA, l’expressionnisme allemand, l’abstraction lyrique, ou le cheminement si singulier de Richter dans son interrogation des possibilités de la représentation — de l’histoire de la peinture pour trouver une voie personnelle, particulièrement efficace, pour figurer la violence, qu’il s’agisse de la violence des faits, de celle infligée aux victimes, comme celle de la révolte qui veut corriger ou échapper aux méfaits récurrents de l’histoire.

La fracturation picturale de la toile — entre l’espace de représentation, celui de la narration éclatée en rappels métonymiques et le plan où l’artiste se livre à une gestuelle vindicative — n’est en réalité aucunement artificielle ou complaisante, elle est, en réalité, le moyen le plus juste qu’Adrian Ghenie est utilisé jusqu’ici pour figurer un état, de fait, de mémoire, ou d’affect : la violence.

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© Adrian Ghenie, « Jungles in Paris », galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 2018.


Courtesy Thaddaeus Ropac gallery

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