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Definitely Martin Crimp

Publié le 09 mai 2018 par Morduedetheatre @_MDT_

Definitely Martin Crimp

Critique de Probablement les Bahamas, de Martin Crimp, vu le 8 mai 2018 à l’Artistic Théâtre, par Complice de MDT
Avec Catherine Salviat, Jacques Bondoux, Heidi-Éva Clavier et un acteur en alternance, dans une traduction Danielle Mérahi, et une mise en scène de Anne-Marie Lazarini

Martin Crimp est un auteur contemporain que l’on a souvent comparé à Pinter : lui aussi prise les dialogues apparemment anodins, mais mystérieux, recelant des rapports de force et une menace latente. Dans Probablement les Bahamas, un vieux couple reçoit un invité (que nous ne verrons jamais que de dos, et qui ne dira pas un mot) ; la femme, Milly (Catherine Salviat), qui détient l’essentiel de la parole, lui expose leur petite vie : elle parle de leurs habitudes, mais aussi de leur fils marié (qui vient de faire un voyage aux Bahamas, à moins que ce ne soit aux Canaries) ainsi que de la jeune fille au pair hollandaise (Marijka) qui les aide dans leur vie quotidienne. Celle-ci est le quatrième personnage, qui aura un long monologue dans la dernière partie de la pièce.

Le contenu du dialogue est répétitif : Milly revient sur les mêmes faits, en les développant avec des détails différents, sur lesquels son mari Franck n’est pas d’accord. On montre des photos à l’invité, mais l’interprétation du moment qu’elles ont fixé diffère selon Milly, Frank ou Marijka. Au fil de ces paroles apparemment erratiques et redondantes, des tensions se font jour : peut-être que le bien-être apparent, le bonheur affiché dans ce charmant cottage masquent des fustrations, des haines, voire des épisodes effroyables (ou peut-être pas…). Ces personnages si ordinaires sont (peut-être) au bord de l’explosion.

Le spectateur n’est donc pas conduit à suivre une action, mais à recomposer et interpréter certains épisodes du passé, sans aucune certitude. Le dialogue demande une grande attention, mais il est mené de façon à ce qu’on ne lâche pas prise : on a envie de comprendre le rapport entre les personnages, de trouver des pistes d’interprétation. Il est certain que l’on a ici affaire à un auteur qui compose finement son texte : la progression est presque insensible, mais elle existe, et soutient l’intérêt.

Ce texte pourrait néanmoins être fade : il demande une mise en scène très précise, et des acteurs qui sachent faire passer mille choses sous des propos insignifiants et dans des silences. De ce point de vue, le pari est vraiment gagné. Anne-Marie Lazarini a d’abord choisi un décor qui attise chez le specteteur le démon de l’interprétation, indispensable pour que le texte ait son plein effet. Le décor représente une maison entière, dont on aurait seulement enlevé les murs : le jardin planté de roses, le séjour où Milly et Franck parlent à leur invité, la chambre conjugale et celle de la jeune fille au pair, la cuisine, la salle de bains. En même temps que se déroule la conversation, nous voyons Marijka se déplacer dans la maison, parfois c’est Milly ou Franck qui vont jusqu’à la cuisine ou la chambre… Cette extension de l’espace scénique n’est pas gratuite : forcément s’opèrent des relations entre ce que l’on entend et ce que l’on voit, qui sont source d’interprétation ou de question : si Franck va à la cuisine, est-ce seulement pour rincer son verre ou parce que Milly a dit quelque chose d’insupportable ? Pourquoi Marijka va-t-elle dans le jardin ? Ainsi l’esprit du spectateur est-il toujours en alerte : c’est une des choses qui m’ont le plus séduite dans le spectacle.

Mais l’atout majeur réside dans les acteurs. Leurs expressions, leurs voix sont les vecteurs principaux de l’irritant mystère du texte. Ils auraient pu forcer la note de la satire de la petite bourgeoisie crispée sur son confort (Crimp m’a semblé plus directement satirique que Pinter) mais cela aurait été réducteur : c’est la subtilité de leur jeu qui emporte l’admiration. Catherine Salviat est époustouflante : par une inflexion, un regard, elle démultiplie la force du texte. La variété des climats qu’elle instaure sur la scène est vraiment source de jubilation silencieuse pour le spectateur. Jacques Bondoux n’est pas en reste :la bonhomie de Franck est-elle faiblesse, résignation, violence rentrée ? Son jeu tout en finesse est une très belle composition. Heidi-Éva Clavier, l’actrice très singulière qui joue Marijka, ajoute sa note à la fois juste et déconcertante, à l’image du spectacle dans son ensemble.

Un texte très intéressant, magnifié par des acteurs remarquables et une belle mise en scène. 

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