C’est dans une librairie londonienne que j’ai découvert l’existence des poèmes proustiens. J’hésitai à m’offrir cette édition bilingue, qui trônait au rayon poésie, mais acheter du Proust en anglais, quelle hérésie !
Si les poèmes de Marcel Proust sont plus difficiles à trouver dans sa patrie d’origine qu’en Angleterre, ce n’est pas pour rien. Proust représente tellement la quintessence de la prose française, qu’on se désintéresse de ses poèmes, au même titre que lui d’ailleurs, qui s’est toujours reconnu davantage comme prosateur. Pour lui, le « prosateur puise son inspiration dans la réalité », tandis que l’essence même du poète constitue la matière de son œuvre.
Mineurs les poèmes de Proust ? Oui, car face à la Recherche tout peut paraitre mineur. Mais loin d’être inintéressants. Colette les prend d’ailleurs au sérieux, lui écrivant : « je veux vous dire maintenant combien nous avons trouvé fines et belles vos gloses de peintres l’autre soir ». On doit à Claude Francis et Fernande Gontier d’avoir pu rassembler ces poèmes divers dans un volume des Cahiers Marcel Proust à la NRF. Outre les portraits de peintres et de musiciens, déjà parus dans les Plaisirs et les Jours, on y retrouve poèmes lyriques de jeunesse, vers burlesques, pastiches et des poèmes issus de la correspondance de Proust.
Presque la moitié de l’ouvrage est en effet consacré à ces lettres poèmes, notamment à Reynaldo Hahn, où se multiplient les private jokes, entre quatrains de cinq vers et surnoms connus d’eux seuls. Proust envoyait parfois ses plis couverts de vers qui devaient permettre au facteur de découvrir l’adresse du destinataire, à la manière de Mallarmé dans Les loisirs de la poste, ce qui donne lieu à des rimes savoureuses :
Facteur trouve au 102 du boulevard Hausmann
Proust qui fut, l’autre siècle, épris de Laure Hayman
Ces lettres sont souvent des éloges à leur destinataire, tantôt pour une peintre de natures mortes : et pourtant fleurs d’un jour vous ne périrez pas
Tantôt pour une comtesse : et vos yeux inondés sont de ceux que j’aimai
C’est d’ailleurs autour de ce thème, les yeux, que l’on goûte réellement Proust dans ce recueil, notamment dans ces intermittences du cœur, où les poèmes post-adolescents et lyriques, dans l’esprit de Jean Santeuil, se succèdent, ainsi ces vers :
Je contemple souvent le ciel de ma mémoire
Où des regards lointains brillent obstinément
Le temps efface tout il n’éteint pas les yeux
[…]
Mer des yeux sur tes eaux claires nous naviguâmes
La fleur de vos yeux clairs déclot innocemment
Et en particulier dans Mensonges (mis en musique par Delafosse et dont la partition est donnée en annexe) :
Vos yeux vagues, vos yeux avides
Vos yeux profonds, hélas sont vides
Profonds et vides sont les Cieux
Et la tendresse du bleu pâle
Est un mensonge dans l’opale
Et dans le ciel et dans vos yeux.
C’est enfin en réaction à sa vie de romancier que sa poésie se fait la plus tranchante. Ainsi, après avoir reçu le prix Goncourt le 10 décembre 1919 pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs, il écrit :
Oubliez ces noirceurs ; préférez les couleurs
(Qu’évoque la méduse blanche aux reflets bleus)
Du seul nectar pour vous seules délicieux
Jeunes filles en fleurs, ô buveuses de f…
Mais Proust ne saurait jamais trop s’éloigner de son œuvre cathédrale, ainsi ce presque haïku énigmatique, qui annonce la Recherche, à Cabourg à l’été 1911 :
J’écris un opuscule
Par qui Bourget descend
Et Boylesves recule
Olivier Devallant
Marcel Proust, Poèmes, Cahiers Marcel Proust, NRF - Gallimard, 1982, 216 pages – 16,25 €