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(Brèves de lecture) Stéphane Sangral, Julien Lemaire et Didier Bourda

Par Florence Trocmé

Trois notes brèves,  sur des livres de Stéphane Sangral, Julien Lemaire et Didier Bourda, par Christophe Esnault.
S. Sangral  là où la nuit tombeStéphane Sangral
Là où la nuit / tombe
Galilée (coll. incises), 2018, 120 p., 12€
sur le site de l’éditeur, préface de Salah Stétié et quelques pages

Dans Circonvolutions, autre recueil de poèmes, déjà Stéphane Sangral - comme il le fait dans ses essais – utilisait la / les  boucle(s). Est-ce à croire que poésie et pensée (chez Sangral, elles sont l’un et l’autre indissociables) existent en marge du vers et du fragment, mais doivent souvent s’inscrire (et rouler) sur une sorte (ou ersatz) de rouleau de möebius textuel, insécables ? Oui dans Circonvolutions, il y avait d’indiscutables poèmes exceptionnels tant il est rare en poésie de voir un auteur travailler/ maîtriser si puissamment un geste autotélique, cela en interrogeant le poème (et la pensée (l’être)) jusqu’à ce que l’interrogation même soit le trampoline et l’amorce du geste d’écriture, de création, mais au-delà : de la naissance du poème par (rappel) son interrogation esthétique de sa « raison ou déliaison d’être ». Un poème qui parvient alors à être l’extension à la pensée du poème à naître. On dira que c’est un risque pour l’auteur de se mordre la queue (ou le cul) et le risque est celui-là de retourner sur cette littérature qui ne se préoccupe que d’elle-m’aime. J’y ai vu davantage ; une expérience philosophique qui choisit son concept pour sourdre au textuel. Dans Là où la nuit /tombe, on retrouve un peu de cela, à cela près : la nuit va remplacer l’Être et aussi je crois se confondre avec L’ABSENCE. La naissance de ce qui fera naître l'absence. Là où meurt ce qui naît dans sa restitution, sa reconstitution. Boucles, encore des boucles et hors la fragmentation. Un (des) texte(s) sur une altérité fantôme assassinée par l’absence envahissante-nuit. Une tombe, c’est cela. Stéphane Sangral, voudriez-vous en sortir (sortir de cette nasse), pourrait-on dire si cela ne nous sautait pas aux Yeux et à la Figure : la sortie est le texte. Des choses comme ceci : Et l’on ment et se ment tout le temps, et même cela est un mensonge / Pleuvera-t-Il Autant Qu’Il A Plu …. / Boire ma soif jusqu’à la liberté … jusqu’à la lie : pensée, nuit et même le jour quand le jour est encore la nuit / … Avoir la nostalgie des époques… où l’on n’avait pas de nostalgie. C’est un texte qui ressasse (l’écrivain fait-il jamais autre chose). On voudrait apercevoir un Présent, il est annoncé en creux, il arrive, sa lumière va percer. Si vient enfin un sommeil authentique avaleur de nostalgie-poison. Le texte est seul dès que vous cessez de le lire. Le mot Seul est un astre. La nuit est cosmos ou enfermement. Le lecteur vole de l’une à l’autre tandis qu’une lune sonore et êtrexistentielle mord sa pulpe-chair.

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Julien delmaire rose pirogue
Julien Delmaire
Rose-Pirogue
Mémoire d’encrier, 2016, 86 p.
Sur le site de l’éditeur

Vous direz simplement / aux gosses qui jonchent l’oubli / que j’ai toujours tenu / ma langue par la crosse.
Une arme factice dans les mains d’un (énième / éternel) adolescent ? Après la page de titre, on tombe là-dessus : À mes frères et sœurs d’émerveillement. Me voilà jaloux de cette phrase. D’autres frères, d’autres sœurs, choisis sur un critère : une faculté certaine à savoir s’émerveiller, et s’adresser à eux (seuls). Julien Delmaire est romancier (chez Grasset) et slameur. Le registre de langue ne sera pas celui qui s’adresse aux seuls poètes et ça ne sera pas plus mal. La délivrance des livres / seul un drogué pourrait y croire / un poète à la limite / un pauvre type qui poursuit / le spectre d’un idéal. Il y a une rage charnelle dans ce recueil : Faites votre devoir / / Arrêtez-moi / menottez-moi / tabassez moi / / Je suis amoureux. Vivre (pour ceux qui savent / y parviennent) est aujourd’hui (en mai 2018) un domaine de radicalité. Lire Julien Delmaire m’assure qu’il possède quelques belles notions appliquées du « Être vivant ».
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Galerie_montagnaise
Didier Bourda
Galerie montagnaise
Lanskine (coll. Poéfilm), 152 p. 14€

En picorant un peu dans Galerie montagnaise, on pense à une hybridation entre texte littéraire et essai, mais assez vite on comprend que l’on avance sur un sentier sans balisage et que l’on piste un authentique poète. Cap à l’est du Québec et du Labrador. On ne découvre pas totalement les Montagnais, leurs présences sont furtives, nous sont offerts des éléments fait d’un tout où ils se meuvent dans une mobilité entravée. Ces Innus et peuple nomade, après s’être calés sur les mouvements des caribous et de la toundra ont été contraints par l’industrie forestière et les barrages hydroélectriques. À qui appartiennent la rivière et l’accès à la rivière et l’éternelle influence des lois (marchande ou non) sur les corps (les âmes)… Quand on entend grand espace, la figure tutélaire de Jim Harrison n’est pas si loin. On a relu ses Lettres à Essenine à sa mort avec une bouteille de vin et une poêlé de patates (Je jeunais neuf jours dans un trou d’arbre au bord de la rivière ensuite ou le sommeil je fus saumon dès cet instant. Ensuite Je ne sais pas (D.B). L’évocation s’arrêtera là les deux écritures sont aussi proches que dissemblables. Sauf que l’une et l’autre s’adressent à l’enfance (Dans la langue de l’orphelinat). Les textes de Didier Bourda ne cessent de parler à l’oreille de l’enfant que j’ai pu être, celui de la rivière et de la forêt. C’est précieux à vivre et rare. À chacun de marcher sur les épines sans s’écorcher ni le cœur ni la paume des récits déposés à l’insu du gibier.   
Le livre s’accompagne (comme chaque livre de la collection) d’un film intitulé Uauiapukut (eau bouillonnante) d’Émilie Aricaud.
Christophe Esnault


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