J’ai lu très récemment un article sur la fin de vie un peu pitoyable que connaît actuellement celui qui a fait la popularité de la bossa nova, à savoir Joao Gilberto . S’il ne se produit plus depuis 2010, c’est à cause d’un affaiblissement physique et mental dû à son âge avancé (il a actuellement 87 ans). J’ai lu l’article comme s’il m’annonçait sa mort. Bref, je suis bouleversée de voir une de mes idoles finir de la sorte.
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Je formule tous ces atermoiements pour vous parler d’une des chansons les plus populaires de la bossa nova, mais qui n’a pas été composée lors de son apogée initiée par Joao Gilberto (1931) et Antonio Carlos (dit Tom) Jobim (1927-1994) à la fin des années 1950, mais à la fin de l’âge d’or du style, par ce même Tom Jobim, en 1972. Le premier enregistrement connu de la chanson a été intégré dans un EP offert avec le numéro du mazagine O Pasquim de mai 1972 et n’a jamais été réédité.
Les paroles originales sont une succession d’images et ne suivent aucun récit. Il faut dire qu’au début des années 1970, entre les pressions de la dictature en place et des problèmes de santé, Tom Jobim n’était pas au mieux de son moral. C’est ainsi qu’en mars 1972, après une journée de composition pour l’album Matita Perê (1973), il se mit à écrire le premier brouillon de la chanson, alors qu’il était dans un état de fatigue avancée. Il en a fait la première représentation à sa famille le lendemain après-midi.
Si on analyse donc les paroles de plus près, on a une progression d’idées qui va de l’insignifiant (le bâton, la pierre, , le crapaud, la boue, la coupure dans le pied) à l’intensité de la mort (la chute de la falaise, la fin du chemin, le bel horizon), jusqu’à arriver au point central des eaux de mars (marquant le début de l’automne dans l’hémisphère sud où se trouve le Brésil), promesse d’une nouvelle vie.
Le premier enregistrement date donc de mai 1972 et est intégré dans l’EP O Tom de Antonio Carlos Jobim e o Tal de João Bosco, puis un autre enregistrement de Jobim a été intégré dans Matita Perê. Mais la version qui a véritablement popularisé la chanson est celle en duo avec Elis Regina (1945-1982) sur l’album Elis & Tom (1974). Cette version est celle qui fait autorité sur toutes les autres.
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La popularité de la chanson a conduit, dès 1973, à en faire des versions internationales en diverses langues.
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Anglais – Waters Of March
Tom Jobim, dès l’enregistrement de Matita Perê, a réfléchi à une version anglaise qu’il n’a pas intégrée dans la version brésilienne de l’album, mais dans la version internationale qui a été renommée Jobim.
En 1975, sur son premier album solo Breakaway, Art Garfunkel (1941) intègre une reprise de cette version :
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Français – Les eaux de mars
Très influencé par le mouvement MPB – musique populaire brésilienne, l’album Déclaration (1973) de Georges Moustaki (1931-2013) contient notamment la première interprétation en langue française de la chanson. Moustaki se fit aider pour la traduction par Tom Jobim lui-même pour la traduction.
Je me souviens personnellement d’une reprise en 1995 de la chanteuse Atlantique Khanh – il me semblait que c’était Enzo Enzo au début. Elle est le pinacle de son 2e et dernier album connu en date.
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Italien – La piogga di marzo
Pour conclure ce petit tour du monde de la chanson, notons l’adaptation italienne de la chanteuse Mina Mazzini (1940) en 1973. D’une grande popularité en Italie et au-delà, parfois gentiment moquée, elle est au fait de sa carrière lorsqu’elle enregistre Frutta e verdura, son 24e album en 13 ans de carrière. Elle avait déjà fait un album d’adaptations de chansons brésiliennes en 1970, ce n’est donc pas une aberration dans sa carrière qui couvre des styles pléthoriques et qui va au-delà de sa retraite de la vie publique en 1978.
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Il y a une remarque à faire : personne ne dévie du style de la chanson de départ. Toute personne qui reprend la chanson le fait avec l’orchestration de départ, ce qui n’est pas courant dans le monde des reprises. Peut-être que la guitare de Tom Jobim, plus que la mélodie du chant, fait autorité.
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A bientôt pour de nouvelles aventures musicales.