Ce qui oppose la contrelittérature à tous les dandysmes romantiques, c'est la névrose ouvrière. Cette notion ne saurait être confondue ni réduite à une névrose de classe, elle dévoile l'opérativité hermétique contrelittéraire, la nécessité métaphysique du combat contre la volonté de puissance du paraître. Alors qu'il était directeur littéraire aux éditions du Rocher, Pierre-Guillaume de Roux n'a jamais pris au sérieux la contrelittérature et il n'a surtout rien fait pour la promouvoir (pour d'obscures raisons, le livre-manifeste qui aurait dû paraître au Rocher en 2002 ne fut édité que trois ans plus tard, en 2005.) Et tant d'autres qui n'ont pas vraiment compris la contrelittérature... Faux compagnons de route, même s'ils étaient pour la plupart honnêtes hommes et pour quelques-uns de grande valeur humaine et spirituelle. S'ils ne furent pas mes frères en contrelittérature, ils se révélèrent d'excellents intercesseurs et leur côtoiement encouragea l'approfondissement de ma réflexion. Quelques-uns comprenaient par compassion mais il ne savaient pas dans leur chair ce que signifiait la « névrose ouvrière ». D'aucuns auraient pu la ressentir mais ils étaient déjà engagés dans leur propre combat.
J’aurais voulu que la contrelittérature fût un ouvroir, c’est-à-dire un « lieu de travail en commun », un travail sur soi dans notre rencontre avec l'autre, que chacun soit l'ouvrier de soi-même. Cela ne s’est pas fait ainsi. Cependant, cet échec personnel ne signifie pas celui de la contrelittérature qui demeure plus que jamais une idée-force vers un nouveau paradigme social : spirituel, éthique, esthétique et politique.
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Le romantisme n’est pas seulement un mouvement littéraire de la première moitié du XIXe siècle, comme l’affirment les manuels scolaires, c’est une vision du monde, une Weltanschauung qui englobe non seulement la littérature et les arts mais tous les domaines de la culture – la philosophie, la théologie, la politique, les sciences sociales, etc. – Évidemment, j’emploie ici le terme « littérature » dans son acception traditionnelle et non pas contrelittéraire qui considère la littérature comme la Weltanschauung du monde moderne.
La naissance du romantisme, au mitan du XVIIIe siècle, correspondau début de la révolution industrielle et de l’essor du capitalisme moderne. Une oeuvre l’inaugure : le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau, publié en 1755. Contrairement à la doxa universitaire qui le fait se terminer à la moitié du XIXe siècle, Michaël Löwy estime que le romantisme, sous différentes formes, a traversé tout le XXe siècle, jusqu’à nos jours1. En ce sens, la contrelittérature est un romantisme, c’est-à-dire un phénomène contradictoriel – j’utilise sciemment une terminologie lupasquienne – à la fois révolutionnaire et contre-révolutionnaire, progressiste et conservateur, rationaliste et mystique.
(à suivre)
Notes :
1. Voir notamment Michaël Löwy (en collaboration avec Robert Sayre), Esprits de feu. Figures de l’anti-capitalisme romantique, Éditions Sandre, 2010.