Faut-il faire des sacrifices pour réaliser ses rêves d’enfants ? C’est la question que se pose Julien Aranda dans son dernier roman, Le Jour où maman m’a présenté Shakespeare, publié aux éditions Eyrolles. Il était d’ailleurs présent dans les locaux de Babelio le 31 mai dernier, pour échanger avec 30 lecteurs à propos de ce dernier ouvrage.
Quand un souvenir d’enfance donne naissance à une fiction
C’est l’aspect autobiographique du Jour où maman m’a présenté Shakespeare qui a été abordé en premier par les lecteurs, mais Julien Aranda a rapidement mis de côté cette idée, insistant sur le fait que son troisième roman est d’abord une fiction : “certains aspects sont autobiographiques, mais je me suis surtout nourri de mon imagination pour écrire cette histoire”. L’auteur a ainsi expliqué aux lecteurs comment il avait puisé dans ses souvenirs d’enfance et dans son imaginaire pour inventer une histoire et des personnages : “Après avoir écrit mes deux premiers romans, j’avais la sensation d’être arrivée au bout d’un cycle. Je ne savais pas comment repartir, alors j’ai repensé aux livres qui m’avaient marqué pendant mon enfance : La Gloire de mon père et Le Château de ma mère de Marcel Pagnol, et La Vie devant soi de Romain Gary. Le point commun qui réunit ces trois livres, c’est le point de vue enfantin du narrateur. Je me suis dit que c’était une aventure que j’avais envie de tenter, alors pour me lancer, je suis parti de mon premier souvenir : la mort de mon chien, un caniche noir qui s’appelait Roméo. J’ai ensuite utilisé mon imagination et mon expérience personnelle pour inventer une histoire autour de ce souvenir : j’ai fait beaucoup de théâtre, alors je me suis servi de cette expérience pour rebondir sur ce vieux souvenir, et je me suis dit que si ce chien s’appelait Roméo, c’est parce que ma mère était fan de William Shakespeare, et c’est comme ça qu’est né le personnage de cette mère farfelue.”
Comme un poisson dans l’eau
Dans un quotidien contraignant et bien rempli, la lecture est souvent un moyen de s’échapper de la réalité. Pour Julien Aranda, il en est de même pour l’écriture, qui est pour lui un moyen d’évasion : “Quand on a un enfant en bas âge, de multiples activités et un travail prenant, c’est parfois difficile de faire une pause. L’écriture m’a permis de souffler et de prendre du recul par rapport à la réalité. J’ai toujours eu de l’affection pour le théâtre, j’ai voulu être comédien, et ce n’est d’ailleurs pas un projet que j’ai complètement abandonné : pendant l’écriture, j’ai eu l’impression de faire partie de cette troupe de théâtre.”
En plus de se vêtir d’un costume de comédien, Julien Aranda s’est également mis dans la peau d’un enfant, de ses cinq à ses vingt ans. Loin d’avoir été une expérience difficile, c’est au contraire un exercice qui a plu à l’auteur ; ce dernier en a profité pour se confier sur les raisons qui l’ont poussé à choisir un narrateur qui soit un enfant : “L’adolescence est, pour moi, beaucoup plus proche du monde des adultes que du monde de l’enfance, car on comprend beaucoup de choses. Je garde un souvenir magique de mes années de primaire : tout allait bien, je me sentais comme dans un cocon. Au contraire, l’arrivée au collège a sonné pour moi comme la fin de l’enfance et de l’insouciance. J’ai senti qu’il y avait une cassure entre le monde de l’enfance et celui de l’adolescence. Écrire du point de vue d’un enfant m’a permis de renouer avec l’enfant qui est en moi.”
Une lectrice en a d’ailleurs profité pour souligner la justesse du langage de l’enfant au centre du Jour où maman m’a présenté Shakespeare, et du ton utilisé par l’auteur. Pour trouver sa propre voix, Julien Aranda s’est avant tout inspiré des auteurs classiques cités précédemment, mais il admet qu’il s’est aussi inspiré de quelques auteurs contemporains tels que Michel Houellebecq et Sylvain Tesson. “On m’a également parlé d’En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut comme référence à Le Jour où maman m’a présenté Shakespeare.”, poursuit l’auteur. “C’est vrai que j’y ai trouvé des ressemblances en le lisant, même si la mère d’En attendant Bojangles est plus farfelue et plus fantasque et, qu’à l’opposé de mon roman, elle ne poursuit aucun but.”
La tête dans les étoiles, les pieds sur terre
Parmi ses références, Julien Aranda a également cité Un Taxi mauve de Michel Déon : “en le lisant, j’ai eu envie d’écrire un roman dans lequel il y aurait des jeux de mots, j’aime d’ailleurs beaucoup Stéphane de Groodt”. Dispersés aux quatre coins du roman, ces calembours tels que “l’huissier d’injustice”, “les réseaux asociaux” ou “les forces du désordre” ont ainsi interpellé les lecteurs par leur fantaisie. “L’humour est pour moi la capacité suprême de l’homme à ne pas se prendre au sérieux”, précise alors Julien Aranda, “c’est un moyen d’aborder des thèmes difficiles de manière plus légère. Face à une situation compliquée, l’humour est, comme la poésie, une échappatoire à la réalité. L’humour et la poésie sont pour moi comme un kaléidoscope : ce sont deux manières de voir le monde.”
Pour compléter cette touche d’humour, Julien Aranda a souhaité y ajouter une dimension poétique, “je voulais écrire un roman musical, qui sonne bien et que l’on puisse écouter”, et construire une ambiance onirique : “j’ai conscience de ne pas avoir été rigoureux ni réaliste dans tous les aspects de ce roman, mais j’ai choisi de privilégier cette atmosphère poétique au réalisme. On écrit pour le lecteur que l’on est et, en tant que lecteur, tant que l’histoire est belle et qu’elle me fait rêver, ça me suffit. Je ne voulais pas étouffer le récit, car la littérature est pour moi une bulle d’oxygène.” Et c’est justement à mi-chemin entre la figure poétique et la figure paternelle que se trouve Georges Brassens, le chanteur préféré du héros.
Mais l’auteur ne s’est pas contenté de s’affranchir des contraintes imposées par le réalisme, puisqu’il avait pour objectif d’écrire un roman qui serait “complètement paradoxal”, à l’image de ses personnages construits à l’opposé les uns des autres, tels que la mère et Tata Myriam. “Je comprends que la mère ait pu être agaçante, car elle heurte des valeurs fondamentales. Quel est le prix à payer pour la réussite ? Comment être un artiste responsable lorsque l’on a des enfants ? Ce sont des questions que l’on peut se poser au travers du personnage de la mère. Il faut parfois faire des sacrifices pour réaliser ses rêves d’enfant.”
“Je n’aime pas écrire, j’aime avoir écrit.” Paul Morand
Avant de quitter Julien Aranda, les lecteurs ont toutefois souhaité lui dérober quelques conseils et techniques d’écriture, “Je comprends complètement votre question”, confesse l’auteur, “j’ai moi-même passé des années à me renseigner sur les méthodes d’écriture des écrivains avant d’oser me lancer !”
L’auteur du Jour où maman m’a présenté Shakespeare s’est alors confié sur l’expérience d’écriture, qui relève pour lui “d’un alignement des planètes et de l’instinct : Je ne fais pas de plan, ni de fiche de personnage. Fiodor Dostoïevski, John Steinbeck et Romain Gary écrivaient d’ailleurs sans plan ! Si j’en concevait un, ça me donnerait l’impression que tout est déjà fait, et ça me découragerait. Ce que j’aime dans la littérature, c’est lorsque le narrateur se retrouve face à ses personnages et que le champ des possibles s’ouvre. J’aime le fait de ne pas savoir où je vais.”
Julien Aranda admet toutefois se reconnaître dans la citation de Paul Morand, “je n’aime pas écrire, j’aime avoir écrit” : “je trouve cela très difficile d’écrire. C’est pour cela que je m’aide d’un fichier excel et que je me fixe des objectifs quotidiens et mensuels. Je me force à mettre en place un processus d’écriture très rigoureux et, après tout, tous les arts sont soumis à la rigueur, l’écriture autant que la musique.”
Le devoir de se renouveler
Malgré les mystères non résolus qui subsistent dans Le jour où maman m’a présenté Shakespeare, tels que l’identité du père ou le prénom du petit garçon, Julien Aranda assure qu’il n’écrira pas de suite à ce troisième roman : “J’en ai eu l’idée mais j’ai finalement décidé de ne pas le faire. Je ne suis pas un lecteur de séries, et je trouve cela trop facile. J’ai envie de me renouveler, et je pense qu’on en a même le devoir. J’ai un million d’idées pour mes prochains romans, je n’ai plus qu’à me poser et à les coucher sur papier.”
Pour en dévoiler davantage à propos du Jour où maman a rencontré Shakespeare, Julien Aranda s’est livré à l’exercice des 5 mots et vous en dit un peu plus en vidéo :