[Critique] HÉRÉDITÉ
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Titre original : Hereditary
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Ari Aster
Distribution : Toni Collette, Gabriel Byrne, Alex Wolff, Ann Dowd, Milly Shapiro, Mallory Bechtel, Brock McKinney, Austin R. Grant…
Genre : Horreur/Épouvante/Drame
Date de sortie : 13 juin 2018
Le Pitch :
Ellen vient de mourir. Elle laisse Annie, sa fille, avec laquelle elle a toujours eu une relation compliquée, ses deux petits enfants et son gendre. Une famille qui fait face à une disparition aux multiples répercutions. Surnaturelles notamment…
La Critique de Hérédité :
On dit le cinéma d’horreur moribond car désormais caractérisé par des films calibrés pour les foules, à base de jump scares prévisibles et d’effets opportunistes. C’est faux. C’est faux car de temps en temps, des œuvres comme It Follows, The Witch ou Mother !, viennent rappeler que l’horreur au cinéma peut toujours surprendre et choquer. Le plus surprenant étant que si des films fadasses et lisses comme Annabelle ou Action ou Vérité inondent bel et bien les cinémas, des productions beaucoup plus personnelles et radicales arrivent aussi à se frayer un chemin jusqu’aux multiplexes. Et à l’heure de ce que certains appellent l’uniformisation du divertissement, ces longs-métrages radicaux, mis à la disposition du plus grand nombre, presque à égalité avec les blockbusters (pas en nombre de copies certes) frappent très fort et marquent durablement. Des films comme Hérédité…
Arbre généalogique
Si Hérédité fait montre d’une maturité étonnante, il s’agit pourtant du premier long-métrage de son réalisateur, Ari Aster, qui jusque-là, avait enchaîné les courts. Un metteur en scène qui a également écrit le scénario en s’inspirant de sa propre expérience et de sa famille. Aster n’étant pas particulièrement intimidé par son statut de bleu, si on en juge l’entrée en matière qu’il nous réserve, ayant l’air de nous dire : « il y a deux solutions : soit vous allez rester collé à votre fauteuil, soit vous allez avoir envie de sortir de la salle, mais dans tous les cas, mon film n’aura rien de frileux ou de tiède. » Un plan d’ouverture aussi virtuose qu’en effet annonciateur de quelque chose de très ambitieux et de profondément perturbant. Ce que la bande-annonce laissait aussi entrevoir, sans heureusement dévoiler la tournure que prend le récit à mi-chemin. Mais si il était normal de s’attendre à un long-métrage au minimum atypique, rien ne pouvait vraiment nous préparer à l’horreur viscérale à laquelle Aster parvient à donner vie en 2 heures, ne reculant devant rien pour donner à son cauchemar filmique l’impact et l’écho nécessaires à son bon épanouissement.
On a pu lire ici ou là que Hérédité empruntait à des classiques comme Rosemary’s Baby ou Ne vous retournez pas. Une liste à laquelle on peut ajouter The Changeling ou La Sentinelle des Maudits mais qui ne suffit pas à véritablement appréhender le film d’Ari Aster, tant celui-ci, et ce n’est bien sûr pas la moindre de ses qualités, arrive à mettre en avant une singularité impressionnante, allant au bout de son propos en prenant à cœur ses thématiques pour mieux nous traumatiser à grand renfort de scènes incroyablement intenses.
Choc
Car autant dire tout de suite qu’Hérédité est vraiment choquant. Visuellement, avec des plans d’une violence inouïe, mais aussi et surtout psychologiquement. Aster n’entrevoit l’épouvante que par le biais d’une habile combinaison de puissantes évocations et d’une histoire dont les rebondissements précèdent une mise en place certes longue mais parfaitement agencée. Puis de toute façon, si Hérédité fonctionne aussi bien, se montrant tour à tour audacieux, courageux et méchamment extrême, c’est parce qu’il s’agit avant tout d’un drame prégnant, dont la construction prend bien le temps de faire exister les personnages. Il ne s’agit pas d’un divertissement en forme de rollercoaster mais bien d’une œuvre adulte, qui prend le spectateur par la main pour mieux le torturer au film d’une intrigue retorse remarquablement écrite et menée. C’est parce qu’il sait se montrer terriblement triste, au point de faire couler les larmes, gothique par moment, tragique et même parfois décalé (juste ce qu’il faut), qu’Hérédité ne ressemble qu’à lui et donne naissance à une peur durable, assortie d’un malaise bien réel.
Il est évident que le cinéaste s’inspire des incontournables (oubliés) cités plus haut, Rosemary’s Baby et consort, mais il sait le faire sans se livrer à une quelconque forme de plagiat. Aster s’approprie certains mécanismes, en invente d’autres et mélange le tout en tournant le dos aux gimmicks modernes du genre, semant le trouble, surprenant en permanence grâce à des séquences étranges et brutales sans se départir d’une cohérence et d’une pertinence qui au final, font vraiment toute la différence.
Le tout en offrant à ses comédiens des partitions de haute volée. Ainsi, Toni Collette, à qui il faut vraiment tirer notre chapeau pour son investissement sans limite, trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Une actrice parfaitement entourée, que l’on parle du magistral Gabriel Byrne, ici dans un rôle permettant de bien des façons au spectateur d’entrer dans l’intimité de cette famille dont les secrets menacent l’équilibre, d’Alex Wolff ou de la jeune Milly Shapiro. Sans oublier la toujours intense Ann Dowd (The Leftovers, The Handmaid’s Tale), parfaite comme toujours.
Sur le carreau
Hérédité n’a jamais peur d’y aller franchement, assumant tous ses choix avec une force si rare ces derniers temps qu’il se pose comme un terrifiant électrochoc face auquel il est en effet difficile de rester indifférent. Et c’est aussi parce qu’Hérédité n’a pas peur de se mettre à dos une partie du public qui va pousser la porte des cinémas en pensant voir une énième collection de jump scares qu’il est aussi impressionnant et traumatisant. Un film difficile, exigeant, mis en scène avec une virtuosité se jouant des perceptions, de l’espace et de tout un tas de codes pourtant rabattus (pour certains), et remarquablement écrit. Une tragédie sur l’héritage et la famille, parcourue de fantômes dont les formes savent surprendre, tantôt tangibles tantôt insaisissables. Hérédité tutoie les sommets, va jusqu’au bout de son propos, serpente entre les clichés et reste longtemps en tête. C’est le moins que l’on puisse dire.
En Bref…
Parfaitement réalisé, faisant preuve d’une maturité incroyable, sans aucune concession, bizarre, totalement dingue, malsain et violent, Hérédité jouit aussi du talent d’écriture de son réalisateur/scénariste autant que de celui de ses acteurs, tous très investis. Immersif au possible, il repousse les limites d’un genre ces dernières années abîmé par une multitude de films anecdotiques et s’impose comme un classique instantané. Un terrible choc. Un monument. Un film d’horreur, un vrai.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Metropolitan FilmExport