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(Note de lecture), Jean-Pascal Dubost, "& Leçons & Coutures II", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

Dubost  & leçons & couturesPar rapport au tome 1, paru aux mêmes éditions en 2012, le dispositif est fortement allégé dans la mesure où les poèmes sont ici donnés nus, sans accompagnement de notes, gloses et périphéries diverses. Mais le principe reste le même : en titre, un nom d’auteur, suivi d’un poème bref d’un seul souffle, « selon la stimulante contrainte du neuvain en prose » (p3 ; cf. l’Anthologie permanente de Poezibao, 28/05/2018). L’objectif aussi reste identique : constituer un « hommagier », entre bibliothèque idéale et panthéon personnel, « Grand Livre de Dettes ». Avec les 99 écrivains ici présents, auxquels il faut ajouter ceux et celles du tome 1, nul doute que Jean-Pascal Dubost, comme tout poète, soit très endetté. On n’écrit pas à partir de rien, on reconnaît seulement ses dettes, ou non. Ajoutons que la multiplicité et la diversité des auteur(e)s dans le temps, l’espace, la notoriété, le genre littéraire (même si les poètes prédominent), ainsi que l’uniformité de traitement et l’absence de classement dans le livre interdit de privilégier tel ou telle. La dette s’annule dans la profusion, en quelque sorte, et il ne reste que l’écriture propre à Jean-Pascal Dubost, qui salue au passage, sans marquer d’insistance particulière, toutes et chacune de ces œuvres. A la lecture des sommaires des tomes 1 et 2, le lecteur peut néanmoins distinguer des pôles : américains XX°, poésie française moyen-âge et XVI°, XX° français, poésie contemporaine… Mais Dubost ne partage pas ce souci de regroupement ou de délimitation de zones d’influence, il propose plutôt une circulation à travers une bibliothèque sans catalogue raisonné ; toutes ces œuvres existent en même temps et nourrissent (ou ont nourri) la sienne. En ce sens, elles sont égales et ont toutes droit de cité (et d’être citées) dans ce qui est moins un musée que l’état présent d’une culture littéraire vivante, celle de l’auteur.
Chaque neuvain est particulier, chantourné singulièrement en fonction de l’auteur évoqué, mais on distingue tout de même à la longue une méthode : d’une part, une prise synthétique sur l’œuvre ou un aspect de cette œuvre qui est celui qui a compté (le plus ?) pour Dubost, ce qui fait qu’il retient ou est retenu par l’écrivain en question. Puis, à partir de là, une broderie disons lyrique, souvent énumérative, toujours joueuse, tournis de langages qui entrechoquent sons et sens produisant de la vitesse et quelque chose comme une musique hétéroclite autant que maîtrisée dans son flux baguenaudant sans se perdre jusqu’au tiret final. A peu près ça. Il y a donc du jeu, mais pas seulement, il y a aussi une vraie justesse dans la prise première, personnelle et globale à la fois, embrassant l’œuvre.
J.C. Pirotte, « une pluie d’une exquise désuétude longueusement tombe dans la prose »(p.31) ; Hugo, « une monstre monstruosité libérée dans un (…) génie spontanément travailleur (…) sans qu’aucune crise du vers ne ronge sa propre fiance »(p.22) ; Bukowski, « le cul cruel est cul sec » (p.18) ; Gracq, « une Phrase Sans Retour aux racines aériennes et aux veines apparentes »(p.26) ; Lahu, « heureuse et réelle rencontre réussie d’une philosophie entre zut et zen »(p.13) ; du Bouchet, « le poids des choses simples est difficile à porter dans l’infini verbal du recommencement »(p.48) ; Whitman, « être vastement soi, dans un brin de poème »(p.33)…
Le dernier poème du livre est consacré à Paul Valéry, et ce n’est sans doute pas un hasard, tout comme le premier évoquait Bernard Collin dont la contrainte « 22 chaque jour » entre en écho avec celle des 9 lignes de prose par auteur que s’impose Dubost. De fait, pour Valéry, il y a bien dans le poème dubostien ici « une fête de l’intellect », mais il faudrait ajouter illico qu’il y a autant travail et débauche, jeu et plaisir et jouissance de s’ébattre « dans le grand bazar souk souk de la langue tous azimuts »(p.47).
Antoine Emaz

Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II, Editions Isabelle Sauvage, 2018, Collection présent (im)parfait, 114 pages, 16€.


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