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(Notes sur la création) Salah Stétié, "Lapidaires verdoyants"

Par Florence Trocmé

Salah stétié  lapidairEn ce qui me concerne, j’ai avec les mots –  mes mots – des rapports ambigus. Je les choisis en les laissant monter vers moi en constellations déjà faites, organisées par des rapports secrets qui se sont tissés entre eux en mon absence (mais ai-je été vraiment absent ? comment en être sûr ?... ), je les accueille tels quels et les crois porteurs d’une vérité qu’il me faut compléter en me mettant à l’écoute d’autres mots que je produis furtivement de par leur relation avec ceux déjà venus, déjà donnés : une écoute singulière et qui peut s’étendre sur des heures, sur des jours, parfois interrompue et reprise plus loin des mois après. Leur naissance seule est furtive, leur ombre longue. Quand ces mots attendus, espérés, enfin viennent et font la soudure avec leurs devanciers, je les reconnais et je leur fais place à leur place exacte dans le poème en train de se construire avec, l’une après l’autre, ses alvéoles. Entre-temps, des vocables ont rampé vers moi, me sont arrivés masqués pour remplir les blancs du textes, mais je les ai démasqués à temps, j’ai vite pressenti leur imposture, je les ai éliminés, – faisant place nette, attendant le vrai mot, le véritable regroupement des vrais mots, invités le moment enfin venu à se placer à leur juste place, dans la juste logique secrète du poème et aussi sa plus juste musique, identifiée par l’oreille interne. Je fais parfois, tandis que les mots sont en chemin vers moi (je le sens) un pas vers eux, mais un pas discret, vite suspendu si tel charme – insistant de ma part et par trop conscient – risque de se rompre. Tout cela qui est difficile à préciser est affaire de mesure, de balance invisible, de manipulations d’innocence – innocence mystérieusement rusée. Il y a deux ouvriers qui travaillent en même temps, projections du même moi : l’un est puisatier penché sur la margelle du puits intime et, ainsi que je l’ai dit, à l’écoute, oreille très fine, tympan tellurique ; l’autre s’active aux abords , chasse les importunités, veille à sauver le plus pur du silence au sein même des bruits qu’il ne se refuse pas d’écouter pour évaluer leur résonance et, derrière elle, leur charge possible de silence précisément et de vide. Il s‘agit là de ce vide/plein qui est l’une des mesures de la densité de l’être et dont certaines cultures, notamment d’Asie, ont reconnu d’expérience l’insaisissable palpitation spirituelle.
Telle pourrait être pour moi l’hermétique « raison » à laquelle je me voue et qui, à sa manière, est une herméneutique.
Salah Stétié, Lapidaires verdoyants, Fata Morgana 2017, p. 90.
Choix de Pierre Herlent.


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