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Une place au soleil holywoodien

Publié le 07 juillet 2008 par François Monti

Si vous cherchez sur le web francophone quelque chose sur Steve Erickson, vous tomberez sur des liens amazon, priceminister, lelibraire et vous y apprendrez qu’il est né en 1940 – il est né en 1950. Avec un peu de persévérance, vous atterrirez sur des blogs inconnus aux noms bizarres (Player pianoblog, Creamy & Delicious) pas toujours mis à jour avec fréquence (hein, Pugnax). Vous en conclurez donc qu’Erickson est culte. C’est vrai, et c’est malheureux. J’ai lu il y a peu « Laura Warholic » de Theroux et « Omega Minor » de Verhaeghen et comptais en parler rapidement. Et voilà que je lis le dernier Erickson, « Zeroville ». Et voilà que la seule chose qui me reste à faire c’est d’abord d’évoquer ce livre. Mis à part « 2666 », ai-je lu un meilleur roman en 2008 ? Je ne pense pas.

Première page. Un jour d’août ’69, alors que la famille Manson s’occupe du cas Tate, un jeune homme, Ike, qui répondra bientôt au nom de Vikar, débarque à Los Angeles, crâne rasé, une image de Une place au soleil tatouée là où les cheveux devraient être : Montgomery Clift et Liz Taylor. Deuxième page. Dans un restaurant, un jeune gars croit qu’il s’agit de James Dean et Nathalie Wood dans La fureur de vivre. Son erreur lui vaut un plateau repas dans la gueule. Troisième page. Désespéré de se rendre compte que la ville du cinéma, Vikar se réfugie dans une salle où l’on passe La passion de Jeanne d’Arc de Dreyer. Sixième page. Il essaye de louer la chambre que Monty Clift occupa à l’hôtel Roosevelt mais doit se contenter de celle d’en face. Il se console en se souvenant que D.W. Griffiths est supposé hanter les couloirs de l’établissement.

« Zeroville » se déroule alors qu’il ne reste plus que quelques traces et souvenirs de l’âge d’or d’Hollywood et que l’industrie est en train de glisser vers la révolution indépendante, la mise à mort des grands studios. On sait comment ça finira : les trublions finiront par tomber dans les bras des comptables des vendeurs de pétrole. Vikar est un « cinéautiste » autodidacte. Il voit les films dans l’ordre où il tombe dessus, sans idée établie, ne saisissant pas toujours bien les frontières entre les genres – il rigole et appelle comédie des films tels que L’exorciste. Espèce de grand enfant un brin naïf et perdu, ayant une forte tendance à la violence, Vikar deviendra un peu par hasard monteur, ce qui le mènera à New York, Madrid, Cannes, Paris et Oslo. En dehors du cinéma, il ne s’intéresse qu’à Soledad, actrice ratée d’origine espagnole dont le père pourrait bien être Buñuel et sa fille, qu’elle délaisse un peu trop souvent, l’étrange Zazi. Et surtout, il est obsédé par un rêve qu’il fait toutes les nuits suivant le visionnage d’un film : une seule image figée, toujours la même, chaque jour un peu plus proche de son sujet. En elle, peut-être, se trouve la clé de son obsession pour le Film.

On avance dans ce livre en rigolant. Beaucoup. Il faut le préciser parce que ce n’est pas a priori évident avec Erickson. L’aspect sombre et dur de ses œuvres est toujours-là, en toile de fond, surgissant par éruptions soudaines, brèves mais désespérantes. Le reste du temps, le rire emplit l’espace grâce à un mélange de dialogue d’une absurdité rare (Vikar ne comprend jamais ce qu’on lui dit et ne parle qu’en sorte de slogans critiques lus et entendus ailleurs, qui ne lui viennent pas toujours au meilleur moment) et de piques à destination de l’usine des rêves. « Zeroville » est par ailleurs une sorte de compendium hollywoodien dans lequel il faut détecter et interpréter les références multiples – la plupart du temps, un film, un acteur, un réalisateur n’est pas nommé : il est décrit. Profondément érudit, le livre ne perdra pourtant pas en chemin ni ne frustrera le lecteur moins fin connaisseur de cet univers. Au contraire : pour Vikar, on comprend bien que les noms importent moins que les images. Ne pas saisir la référence revient à se retrouver dans la même situation.

Si, à la moitié du livre, on se dit qu’on est en train de passer un très, très bon moment, on se dit aussi que le moment est trop bon, trop amusant pour faire vraiment un excellent livre. Triste sire que je suis : je m’éclatais tellement que je me persuadais qu’il s’agirait d’une lecture entre deux autres plus consistantes. Quel con. Une fois le reset lancé par Erickson (les chapitres vont de 1 à 227 avant un reset lançant le décompte de 227 à 1), on se rend compte que derrière le roman définitif sur l’Hollywood des années ’70, il y a encore un, deux ou trois niveaux de lecture. Et c’est là qu’on retrouve l’Erickson qu’on connait depuis « Days between stations », avec la mise en avant du rêve de Vikar, ainsi que le développement d’un lien profond avec Zazi. Petit à petit, les théories affluent. La paranoïa s’installe. Comme Vikar le dira des films,« Zeroville » est un roman où chaque scène anticipe et réfléchit chaque scène. « Fuck continuity » en est le slogan. Je ne vais pas détailler ce que ça donne au niveau du récit, parce que je pense que le plaisir et la stimulation ressentis à la lecture viennent vraiment de la surprise. Permettez-moi juste d’évoquer isolément quelques aspects de ce roman.

  • L’idée que les grandes œuvres sont souvent celles qu’on rejette la première fois. « It’s like the first time I heard the second Pere Ubu album and throught it just blew completely, I thought anyone who liked it must be stupid and full of shit - and then for about a year it was practically the only album I listened to. It was the only album that made any sense at all. So why does that happen? The music hasn’t changed. The movie hasn’t changed. It’s still the same exact movie, but it’s like it sets something in motion, some understanding you didn’t know you could understand, it’s like a virus that had to get inside you and take hold and maybe you shrug it off - but when you don’t , it kills you in a way, not necessarily in a bad way because maybe it kills something that’s been holding you down or back, because when you hear a really really great record or see a really great movie, you feel alive in a way you didn’t before, everything looks different, like what they say when you’re in love or something - though I wouldn’t know - but everything is new and it gets into your dreams.”
  • “All the scenes of a movie are really happening at the same time. (…) Scenes reflect what has not yet happened, scenes anticipate what has already happened.”: B. S. Johnson aurait pu dire la même chose de “The unfortunates”, son roman non-relié dont le lecteur pouvait lire les 27 chapitres dans l’ordre qu’il désirait.
  • Vikar déteste la musique jusqu’à ce qu’il découvre le Punk, qu’il appellera « The Sound ». « It was never the Music at all, i twas always the Sound ; and though there’s no way for him to understand this, perhaps the Sound moves him now because, a little more than twenty years after its birth, the Sound has become about itself, the Sound is about its own truth and corruption in the same way that, a little more than twenty years after the Movies found their sound, there was a wave of movies about the Movies (…). When the Sound has circled to swallos its tail, it becomes a world of its own, god or no god, or in which Vikar is god – or in any event a god that kills fathers rather than sons.”
  • Est-ce qu’une église dépourvue de porte est une église où on ne peut entrer ou d’où on ne peut sortir ?


J’ai lu quelque part une critique qui soulignait le plaisir de lecture (à raison) avant de dire que le livre est sans doute moins riche qu’il ne parait une fois qu’on se met à y repenser. A mon sens, c’est tout à fait faux. Je crois qu’au contraire il faudra le relire pour vraiment saisir son exacte profondeur, probablement située quelque part entre Soledad, Zazi, les rêves, Jeanne d’Arc et Oslo. Je m’attends toujours à quelque chose de bon de la part d’Erickson, je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi fort émotionnellement, d’aussi drôle et d’aussi profond. En ajoutant à ses qualités déjà connues un humour ravageur sans rien perdre en richesse, Steve Erickson donne ici une nouvelle dimension à son œuvre dans un roman qui parvient à mélanger le ludique et le profond, le fast read et le contenu. On ne va pas du rire aux larmes, mais bien du rire au silence fasciné. Fausse leçon magistrale sur Hollywood, vraie mine a révélation sur l'obsession artistique. Honnêtement, je suis stupéfait.

Steve Erickson, Zeroville, Europa editions, $14.95


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