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(Notes sur la création) Jacques Darras, "A l'Ecoute"

Par Florence Trocmé

Jacques Darras  à l'écouteJacques Darras publie un livre d’entretiens avec Richard Sieburth sur la poésie de langue anglaise et sa traduction.
Est-ce que l'anglais pour toi s'inscrit dans l'univers paternel ou maternel ? C'est une grande question, ce rapport qu'on a à la langue de l'autre. Dans ton cas ?

Dans mon cas, c'est maternel. Je crois me souvenir que ma mère brave le couvre-feu pour écouter, volets de la maison fermés, son mis très bas, la BBC. On n'est pas très loin de Londres.
Sur les ondes courtes ?

Je crois, je ne sais plus très bien.
Les ondes, c'est très important, on est entre la radio et le fluvial.

Elle écoute l'émission « Les Français parlent aux Français », mise au point par Maurice Schumann avec le concours de poètes, Henri Thomas, Jean-Paul de Dadelsen, tous en résistance et en exil à Londres.
Cela évoque également les Feuillets d'Hypnos de René Char qui selon la critique moderne sont fondés sur les émissions énigmatiques émises depuis Londres avec toute une poésie de la messagerie secrète (« Les sanglots longs des violons », etc.). Il existe une poétique de la radio très forte aussi chez Char.

Pour répondre à ta question, la poétique de la radio dans mon cas est maternelle, d'autant que je fantasme ma mère comme résistante en quelque façon. Elle résiste en écoutant la radio, ce qui est un acte de résistance passive minimale, mais en même temps elle résiste en n'ayant pas abandonné son poste, elle garde des contacts avec les instituteurs du voisinage qui habitent dans un rayon de cinq à dix kilomètres — Arry, Rue, Nampont-Saint-Firmin, etc. —, chez qui elle se rend à bicyclette en me tirant dans une voiturette en bois attachée au cadre, derrière elle. D'ailleurs, elle prend des risques car la route est sillonnée de voitures et de chenillettes allemandes. C'est une géographie très spéciale, le Ponthieu, faite de petites vallées profondes d'où la route remonte vers le plateau et, sur les vélos sommaires d'alors, cela demande, pour une femme de vingt-sept ans, du souffle, du muscle, du courage, et surtout de l'intrépidité. Ma mère fait preuve d'une volonté phénoménale pour tirer un petit bonhomme qui, même s'il n'est pas bien nourri, représente un poids et se tient assis comme un petit pacha derrière elle, regardant la route s'éloigner à l'infini. Nous allons donc rendre visite, dans les villages que j'ai dits, à des couples d'instituteurs qui eux aussi n'ont pas quitté leur poste.
Tu me donnes le portrait de ta mère comme une écouteuse, comme un listening post, qui n'a pas quitté son poste et reste les oreilles ouvertes.

C'est une femme très sensible à la musique. Qui chante. Qui chante bien et souvent. Qui chante juste.
Que tu écoutes...

Que j'écoute, bien évidemment, et qui, comme à l'époque...
Le génie de l'écoute provient de ta mère...

L'écoute est pour moi capitale, j'ai passé toute mon existence à faire de la psychanalyse sauvage, d'une certaine façon, dans la mesure où j'ai écouté les autres autant et sinon plus que je leur ai parlé. L'écoute est pour moi essentielle. Or l'écoute n'est pas, n'est plus enseignée. Bien dommage !
Jacques Darras, A l’écoute, entretiens avec Richard Sieburth sur la poésie de langue anglaise et sa traduction, « Les Passeurs d’Inuits », In’hui / Le Castor Astral, 2018, 148 p., 12€, pp.14 et 15.
Lire aussi cet extrait de L'Embouchure de la Maye.


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