Charlie Brooker aime nous faire mal. Très, très mal.
♪ Anyone… Anyone… Anyone… ♫ J’ai encore la musique dans la tête. Bonjour Billy, et bienvenue au 7ème Café ! Aujourd’hui, on va se pencher sur une série très particulière créée par Charlie Brooker en 2011 : Black Mirror. C’est une série d’anthologie, c’est à dire qu’il n’y a pas de lien direct entre les épisodes, pas d’histoire continue, pas les mêmes acteurs ni les mêmes réalisateurs, mais un perpétuel fil rouge : l’impact de la technologie sur l’humanité. Des fois, cet impact est positif. Souvent, il est très négatif. Comme chacun des 19 épisodes de la série mériterait son propre article, mais que je ne peux consacrer 19 semaines à ça, j’ai simplement divisé cette critique en deux parties : quand ça finit bien (la semaine prochaine) et quand ça finit mal. Bienvenue dans Black Mirror : pour le pire et pour le meilleur.
« Black Mirror » en français ça veut dire « Miroir noir ». Et en effet, la plupart du temps, la série n’est qu’un prétexte pour nous renvoyer le plus sombre miroir de l’humanité, ce qu’il y a de pire chez l’Homme – et chez la technologie qu’il utilise. Il faut donc avoir le mental bien accroché pour regarder cette série, car la morale est souvent foulée du pied : crimes en tous genres, meurtres d’hommes, de femmes et d’enfants, apocalypse, génocides… La technologie nous en fait voir de toutes les couleurs, et pas dans le bon sens. Petit tour d’horizon de tes pires cauchemars…
Un smiley, comme c’est mignon… Et trompeur.BLACK MIRROR
Créateur : Charlie Brooker
Acteurs principaux : Changent à chaque épisode
Diffusion : 4 décembre 2011 – Aujourd’hui
Pays : Royaume-Uni
Saisons : 4, plus un Spécial Noël
Épisodes : 19
Durée par épisode : Entre 41 minutes et 1h29
Que la fête commence.LE PETIT ÉCRAN DES HORREURS
« C’est une idée démentielle et brillante. La satire est tellement audacieuse qu’elle m’a laissé bouche bée et hurlant. Un peu comme ce pauvre cochon… »
Ces mots, ce sont ceux de Michael Hogan, un critique du Daily Telegraph, dans son article sur le tout premier épisode de Black Mirror. Force est de constater qu’il a bien raison.
En termes de destruction de la morale, le tout premier épisode de la série, « The National Anthem » (L’Hymne National) se pose là. Dès le départ les bases sont posées, et deux conclusions viennent immédiatement : t’es pas en train de regarder n’importe quoi, et – au risque de me répéter – ça va faire très mal. Le postulat du premier épisode est finalement peu futuriste, et ça pourrait très bien arriver dès demain : la princesse royale du Royaume-Uni est enlevée et la rançon est lugubre ; pas d’argent, pas de libération de prisonniers ou quoi que ce soit, non non, pire. Le Premier Ministre doit faire l’amour à un cochon en direct à la télévision sur une chaîne nationale. Je t’avais prévenu Billy, la morale est morte, et j’espère que t’as pris tes antidépresseurs. Tout l’épisode va donc se jouer sur le suspense de savoir si oui ou non le Premier Ministre va s’exécuter, et surtout – puisque le thème principal est la technologie – si les gens vont regarder. La totalité des bases de Black Mirror sont là. On a un concept abominable, lié de façon très directe à une technologie actuelle ou futuriste, qui sert de satire de notre société d’aujourd’hui, et ça finit toujours par un twist souvent plus abominable que le postulat de départ lui-même.
En plus de se baser à chaque fois sur un script d’une qualité exceptionnelle et sur des concepts extrêmement intelligents, Black Mirror repose aussi sur une réalisation hors-pair avec probablement ce qui se fait de mieux sur petit écran. Comme je l’ai dit, à chaque épisode on a un nouveau réalisateur et de nouveaux acteurs, et à chaque fois ils mériteraient tous un Emmy Award – et je ne dis pas ça pour exagérer. Je ne sais pas comment l’équipe technique s’y prend, mais tous les acteurs sont au meilleur de leur jeu dans cette série, même des acteurs secondaires qui n’ont pas des filmographies exceptionnelles, ils donnent de leur mieux et ça se voit. Au niveau des réalisateurs, on a pu voir passer Jodie Foster (Money Monster), Dan Trachtenberg (10 Cloverfield Lane) ou encore Joe Wright (Darkest Hour, dont on parlait pendant les Oscars). Du côté des acteurs, on retrouve Bryce Dallas Howard, Daniel Kaluuya, Rory Kinnear, Jodie Whittaker, Domnhall Gleeson, Rafe Spall, John Hamm, ou encore Letitia Wright, j’en passe et des meilleurs. Je ne vais pas donner tous leurs rôles, ce serait trop long, mais fais un tour sur Google, Billy, car je t’assure que tu les connais tous.
Donc, la plupart des épisodes finissent mal. Mais le plus intéressant à remarquer, c’est que contrairement à des films tels Terminator ou Ex-Machina, ce n’est jamais la technologie qui déconne, c’est l’Homme. C’est d’ailleurs bien la seule morale transcendante à tirer de tout ça : la technologie n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce qu’on en fait. Si Black Mirror nous montre souvent que ça finit mal, c’est justement pour que l’on comprenne bien ça. Les meurtres, les génocides, les adultères, … c’est nous.
Alors dans le tas, il y a de quoi nourrir bien des cauchemars. « White Christmas », « Hated in the Nation », « Crocodile » ou « Fifteen Million Merits » sont les pires des 19 épisodes, et il faut vraiment être prêt à les regarder parce qu’ils donnent un bon grand coup en pleine face. « White Bear » est particulièrement atroce aussi, puisqu’il se penche sur une femme amnésique qui se réveille dans un futur apocalyptique où les citoyens sont lobotomisés par un signal électronique et est poursuivie par des psychopathes pendant que les gens la filment sur leurs téléphones. Le postulat est réellement glaçant, mais ce n’est rien à côté du twist final qui risque de te faire sentir très mal. J’étais vraiment à deux doigts de consacrer cette critique du pire à « White Bear », mais il y a un épisode, un seul, qui est encore pire. Un épisode qui détruit la morale, lui pète les genoux, et lui éclate les dents à coups de batte de baseball. Un épisode plus noir que noir. Cet épisode, c’est « Shut Up and Dance ».
Cours tant que tu veux. Il est déjà trop tard.DANSE MACABRE
Alors, j’ai parlé de faire l’amour à un cochon. De poursuite de psychopathes dans une ville de lobotomisés. Deux épisodes finissent en génocides. Plusieurs épisodes finissent avec un meurtre. Et malgré ça, il y a encore pire. Attrape ton Xanax Billy, et c’est parti.
« Shut Up and Dance » (Tais-toi et Danse) est le troisième épisode de la saison 3 de Black Mirror. Au moment où j’écris ces lignes, c’est l’épisode qui est exactement au milieu de la série, il y en a 9 avant et 9 après. On y retrouve donc les excellents acteurs Jerome Flynn et surtout Alex Lawther, dont j’ai déjà fait l’éloge dans ma critique de The End of the F***ing World, qui est ici dans ce qui est – à mon pas du tout humble avis – son meilleur rôle de tous les temps, et avec un acteur de son niveau, c’est vraiment qu’on atteint des sommets. Bref.
Nous avons donc Kenny (Alex Lawther), un adolescent comme les autres, un peu maladroit, un peu mal rasé, qui porte des pulls un peu trop grands, et travaille dans un fast-food local dans l’Angleterre actuelle, où il est souvent moqué par ses collègues. Comme tous les adolescents, Kenny a un ordinateur portable. Mais en rentrant un soir, il trouve sa sœur ayant piqué son ordi pour regarder des films en streaming, mais cette gourde a installé par inadvertance un virus qui bloque le PC partiellement. Kenny va donc installer un antivirus douteux trouvé sur Internet (probablement sur 01net.com ou commentcamarche.net, toi-même tu sais) qui va effectivement retirer le virus, mais installer un logiciel espion qui accède à la webcam du PC. Et bien évidemment Kenny va avoir la bonne idée de se toucher la nouille devant sa caméra le soir-même. Grave erreur, Kenny. Quelques minutes après, il reçoit un mail intraçable lui inférant de renvoyer son numéro de téléphone sinon la vidéo de tout ce qui a été filmé avec sa webcam est envoyée à TOUS ses contacts. L’histoire est lancée, la fête peut commencer. Et quand je dis fête, je veux bien sûr dire cauchemar.
Il se trouve que l’auteur du mail est en fait un hacker anonyme qui s’est constitué grâce à son logiciel espion tout un réseau de personnes qu’il fait chanter contre leurs secrets : vidéos compromettantes, mails racistes, activités illégales… Kenny va donc devoir effectuer une série d’actions pour le maître-chanteur afin de conserver la vidéo privée. Il commence simplement par devoir aller d’un point A pour récupérer un colis à un point B pour le livrer. Rien de grave, en somme. Mais bien évidemment, c’est Black Mirror. Chaque nouvelle action pousse la barre un peu plus haut et quand on croit que ça ne peut plus être pire, on se prend un gros poing dans la gueule. Sur son chemin, Kenny va rencontrer Hector (Jerome Flynn), un fonctionnaire dont le lourd secret est qu’il allait tromper sa femme avec une prostituée. Tous les deux vont donc entrer dans la danse du maître-chanteur, pour le pire et pour… bah, le encore pire.
Je ne peux rien dévoiler de plus sans spoiler Billy, mais sache que cet épisode est aussi intelligent qu’il est épouvantable et lourd de sous-entendus. Il joue énormément sur la subversion des attentes, c’est à dire qu’on pense qu’il va se passer quelque chose mais en fait c’est pas ça qu’il se passe au final. Sans parler du twist de fin qui est juste indescriptible. Quelle est la morale ? Ne regarde pas de films en streaming ? Ne télécharge pas n’importe quoi ? Ne te branle pas devant ta caméra ? N’engage pas de prostituée ? Assume les conséquences de tes actes ? Hem. On va voir ça juste après, mais sache qu’il m’a fallu plusieurs jours pour me remettre de cet épisode. Attention Billy, spoilers à suivre.
Oh pleure pas Alex, c’est pas fini…LE PIRE DU PIRE
Kenny va au point A. Il récupère un paquet, qui se révèle être un simple gâteau. Il livre le paquet au point B, qui est la chambre d’hôtel d’Hector. Ils volent ensuite tous les deux une voiture laissée là par une autre victime du maître chanteur, et la conduisent devant une petite banque de banlieue. Ils fouillent le gâteau et y trouvent un revolver, une casquette et des lunettes de soleil. Cela mène à une scène de craquage nerveux dans la voiture qui est tout simplement ahurissante de tension et qui démontre le talent incroyable des deux acteurs, puis Kenny braque la banque et se pisse dessus pendant que Hector l’attend dehors, le pied au dessus de l’accélérateur.
C’est à ce moment que tu te dis vraiment que ça ne peut pas être pire. Kenny et Hector sont tous les deux des gars sympas qui n’ont rien demandé à personne, et à cause d’une erreur, d’un dérapage, ils se retrouvent dans la merde jusqu’au cou. On en vient à prier pour que ce soit fini. Mais « Shut Up and Dance » n’est pas un épisode qui finit bien Billy. Il reste encore 15 minutes, et c’est loin d’être fini.
L’argent volé à la banque doit être livré dans une clairière par Kenny seul tandis qu’Hector doit partir détruire la voiture. Dans la clairière, Kenny rencontre un homme d’âge moyen à l’allure douteuse, qui révèle qu’ils doivent se battre à mort pour gagner l’argent pendant que le combat est filmé par un drone. Quand Kenny ressort le revolver du braquage et le pose contre sa mâchoire, tu espères vraiment que ça va finir en « Oh mon Dieu ils ont tué Kenny » comme dans South Park, que Kenny va s’en sortir en se suicidant et qu’au moins il n’aura pas tué un homme, et tout sera enfin arrêté.
Mais tu es en train de regarder Black Mirror, Billy. Il reste encore 5 minutes, Billy. C’est. Pas. Fini.
Le revolver était chargé à blanc. Alors le combat commence. Et là, j’espère que tu as pris tes antidépresseurs Billy, et que tu as le cœur bien accroché. J’arrête pas de dire que tout finit mal dans Black Mirror depuis la semaine dernière, mais là, quand je dis que ça finit mal, ça finit très, très, très, très, très mal. Lancez la musique, Radiohead. Hector rentre chez lui, il a accompli toutes les missions du maître-chanteur. Il retrouve sa fille endormie, comme si de rien n’était. « Shut Up and Dance » serait-il un des rares épisodes de la série qui finit bien, en fin de compte ? T’es mignon, Billy. Hector reçoit un dernier message du maître-chanteur. Une trollface.
Oh non, ça ne me fait pas rire du tout.Et là, c’est le drame. Malgré le fait que tous les pions ont rempli leur mission, le maître-chanteur diffuse tout. Les échanges avec la prostituée d’Hector à sa femme. Les emails racistes de la PDG d’une grande entreprise qui avait laissé la voiture que les deux protagonistes ont récupéré sont diffusés sur Internet. L’homme qui a livré le paquet à Kenny se fait insulter par toute sa famille. Et le tout, sur fond de Kenny sortant du bois, boitant et ensanglanté, ayant buté le mec. Et il reçoit un appel de sa mère à qui le hacker a envoyé la vidéo, comme à sa sœur et tous ses contacts. Et la police arrive parce que le hacker les a prévenu aussi. Mais Billy, c’est toujours pas fini. Il manque le twist. Le fameux twist.
Tu te souviens au début de l’épisode quand Kenny est au fast-food et qu’il ramène son jouet à une petite fille qui l’avait oublié ? C’est mignon hein ?
Kenny est un pédophile. C’est toujours aussi mignon ? Je te laisse aller vomir. Dans les dernières secondes, il est révélé qu’il se masturbait sur des photos d’enfants. Voilà ta morale Billy : il n’y a pas de morale. Pas de héros. Pas de victime. Pauvre Kenny est un salopard aussi. Ça fait d’autant plus mal que pendant tout l’épisode on le voit comme une victime, on veut l’aider, on veut qu’il se sauve de tout ça. Et voilà. La morale de « Shut Up and Dance », elle est morte, enterrée, et l’épisode pisse sur sa tombe. Comme pour le grandiose Un Élève Doué dont je parlais il y a trois mois, rien ne pourrait résumer mieux cet épisode que les paroles du grand Jean Cocteau :
Tu crois que si on va tous ensemble chez le psy on aura une réduction Billy ?« Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel. »
LE MOT DE LA FIN
Black Mirror ne pourrait pas mieux porter son titre. C’est le miroir noir de l’humanité qui nous est renvoyé en pleine face par le biais de la technologie, et les conséquences du vice humain atteignent des proportions inimaginables. Ta morale en prend un coup violent, et il sera difficile de s’en remettre.
Note : 10 / 10
Je reviens, je vais me tirer une balle.« ??? – ON A VU CE QUE TU AS FAIT »
— Arthur