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Le tour de france est un con

Par Emma Falubert
Le Tour de France est une manifestation sportive et le Tour de France est un con.
Le Tour de France est un con parce que de nombreux esprits détenteurs de la « pensée correcte » pensent justement que le Tour de France est un con.
Pourtant Le Tour de France est un mythe, comme
l’accordéon qui n’appartient pas qu’à Verchuren,
Johnny Hallyday qui n'a pas toujours hurlé« Optic 2000 !»,
Le restaurant la Tour d’Argent, où même si il est de bon ton de dire que son canard n’est plus ce qu’il était, c’est encore un délice et la vue est toujours aussi imprenable,
Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris où il n’y a pas que les petits-maîtres de l’école de Paris,
L’Opéra de Toulouse où le père de Nougaro ne sévit plus depuis longtemps,
Les matchs de Foot au Parc des Princes où il n’y a pas que le PSG,
les matchs de nationale 1 qui ne se finissent pas toujours en bagarre générale,
Les courses de trot à Vincennes, la nuit, aussi sublime, que dans un film américain en noir et blanc,
Les chaussures Méphisto que l’on peut porter avant la retraite,
Les films de Jacques Demy et de Jean jacques Annaux qui ne sont pas aussi naïfs qu’ils en ont l’air,
Le film « Un homme et une femme » qui est aussi naïf qu’il en a l’air et avec un « shabada bada », tout de même assez joli,
Les livres de Marc Lévy et ceux de Christian Jacques qui racontent de belles histoires,
Les concerts des jeunesses musicales de France qui proposent autre chose que les « 4 saisons » en quatuor de flutes sans bec,
Les représentations de la Comédie Française le dimanche en matinée où il n’y a pas que des cars du troisième age venus de province,
Les quotidiens de province où il y a de grands éditoriaux,
Le journal « Le Parisien » qui n’est plus libéré et ne traite plus des chiens écrasés,
le « Figaro littéraire » qui ne traite pas seulement d’Henry Troyat et Maurice Druon, (et qu'en bien même)
Le Pélerin et La Croix qui ne parlent pas que de chemin de croix et de la succession de Jean-Paul II,
Les fleurs artificielles que même parfois on dirait des vraies,
le Festival des Vieilles Charrues qui ne reçoit pas qu’Aznavour (?!),
La thalasso à Granville où il n’y a pas que des grabataires âgés,
Les concours de château de sable où des plasticiens élaborent des sculptures impressionnantes,
Les clubs Mickey et toutes les tournées des plages du mois d’août où les gamins s’amusent,
Les « Hôtels des bains ou de la Plage », où il n’y a pas que de petites anglaises.
Les tabacs « le Balto », où le patron n’a pas toujours un chien-loup à ses pieds
Et puis dans le désordre, Bagnoles de l’orne et Néry les bains,
Le Parc Vulcania, et celui de Thoiry et même le Futuroscope,
Les Ninas et les « cafés crème »,
Les vins du Languedoc,
Les tournois de sixte à Quin plage et ailleurs,
Le rock acrobatique et le patinage artistique dans le gymnase désert de bourg saint maurice,
le jour du seigneur, le dimanche,
Les tondeuses à gazons électriques,
Les géraniums et les hortensias bleus,
Les robots Marie bas de gamme, et les faux tupperwares
Les parties de pétanque au camping de Saint Jean de Mont,
Le Ricard et ses glaçons, le muscadet sur lie et le p’tit « côtes qui va bien »l,
sont autant de richesses qui constituent une sorte de patrimoine à la fois trivial, quotidien, personnel et affectif de nombre de nos concitoyens. Et ils ont en commun avec le Tour de France, d’être condamnés par certains à n’être que les signes désuets d’une France figée et à la traîne. Mais à la vérité tous ces concepts qu’ils soient considérés comme populaires (et là on rajoute toujours, pour faire propre et se dédouanner « au bon sens du terme( ?!)) ou qu’ils soient même qualifiés de Ringards ou de « has been », ont toutefois en commun d’une part de durer, quoi qu’on en dise, mais aussi d‘évoluer et de muter tranquillement et sans esbroufe.
Le Tour de France est un con parce qu’il est emblématique de ces événements uniques et toutefois familiers, espèce d’Archetypes fondateurs et dérisoires, mais toujours en évolution, qui marquent l’histoire ordinaire de notre vie quotidienne, comme le mariage d’une grande sœur, le remariage d’un père, le col du fémur de la grand mère, la première cigarette, la petite dernière qu’a vu le loup, le premier emploi, le dernier crédit, le bal du 14 juillet, les fêtes de fin d’années à la Guadeloupe avec un amour secret, l’Ile de Bréhat avec une épouse légitime et les enfants de tous les lits, la prise en main d’une voiture neuve, le mode d’emploi du premier appareil numérique, une course à Vincennes, un meeting d’athlétisme au Stade de France, une couturière à l’opéra Garnier, une corrida dans les arènes d’Arles et tous ces moments, faits d’images fortes et de sensations nouvelles, des événements dont on ne perçoit pas tout de suite l’impact, qu’on ne voit pas toujours au présent et qu’on vit souvent à rebours avec nostalgie, bonne humeur ou simplement désir de recommencer.
Le Tour de France est un con parce qu’il n’a pas réussi à faire comprendre qu’il y avait là, sur les routes, depuis 1903 la métaphore sublime, et parfaite de ce qu’est notre société avec ses luttes, ses mouvements, ses faiblesses, ses ringardises, ses beautés, ses élévations, ses réussites et ses échecs, ses cons, ses moins cons, ses grands imbéciles et ses petits génies, ses grands perdants et les minables gagne-petits.
Le tour de France est un con parce que cette métaphore accessible demeure, malgré tout, complexe, riche et du coup inépuisable. Il oscille entre tradition et modernité, entre mémoire et avenir, entre petites histoires et grands desseins, entre valeurs morales et coups bidons, entre authenticité et bluff, entre bricolage de génie et très haute technologie…
Du coup le tour de France est un con parce qu’il est le contraire de la tendance, qui n’oscille, elle, entre rien du tout et pas grand-chose ; il est le contraire de cette tendance qui s’invente dans les alcôves parisiens et progresse par secousses parfois violentes, par des coups, destinés à donner de la visibilité et à juste éclairer un moment, un tout petit mouvement, soubresaut dérisoire et éphémère, au contraire de l’ampleur de ce qui dure.
Evidemment et par définition ce qui est tendance ne peut durer, ce qui n’est pas le cas du Tour de France.
Le Tour de France est un con parce que non seulement il n’est pas tendance et il dure donc, mais cette épopée complexe dont parlait Barthes, a fait rêver Hollywood qui en revanche n’a jamais réussi à en rendre compte dans aucune fiction. Il semble même que les millions de scénarios que proposent sans cesse et depuis plus de 100 ans, le Tour ne puisse pas être réduit à un script même écrit et financé par des américains. Il semble que la multitude des duels de ces héros, dont on pourrait penser qu’ils sont de notre propre famille, comme Bartoli et Coppi en 52, Gaul et Bobet en 55, Robic et Vietto en 47, Merckx et Ocana en 71, Hinault et Lemond en 86, Fignon et le même Lemond quelques années après, et tous les faits et autres exploits qui jalonnent l’histoire du tour, se suffisent à eux même. Ils ne nécessitent pas pour « faire légende » d’être repris par la fiction fut-elle Hollywoodienne. Au contraire la légende se construit par ces images d’actualités, de direct, ces images de la réalité où la France défile, et où à l’instar des compagnons du voyage, les coureurs tracent au fil des années tous les itinéraires possibles que personne toutefois ne refera jamais, totalement, qu’en rêve et en imagination.La magie et la fascination du tour sont là profondément, dans cette trace profonde et durable du réel pour construire notre imaginaire ordinaire.
Le Tour de France est un con parce que tout le monde y est soupçonné de Dopage et que, dans ce mot, on met tout et n’importe quoi. C’est devenu une sorte de phantasme maléfique, le symbole de la charge du Mal, un glissement progressif vers une certaine transgression, (une transgression inconsciemment espérée ?) peut être même le symbole de l’avènement d’un sur-male, à l’égal de l’Homme qui prétendrait égaler les Dieux…
et du coup ça sent le soufre et les feux de l’enfer. Et là, on parle même d’apprenti sorcier.
Mais tout ce fatras épouvantail, et ces fioles potions magiques font définitivement et substantiellement partie de l’image et de ce jeu fascinant. Péripéties ou drames, la scène est immense et les scénarios de la vraie vie innombrables, certains s’en sortent d’autres s'yperdent , nous nous y retrouvons toujours.
Qu’importe ! le Tour de France est un con, il continue avec ou sans eux mais toujours avec nous et c’est beau.
En attendant et à la fin, il n’y a jamais de passe-droit le Tour de France reste la consécration de l’effort et du travail, même si certains trichent, se trompent de dose, se font prendre ou en réchappent, l’objectif est toujours d’atteindre les sommets et de rentrer dans la légende. Et là il n’y a plus de tricheurs.
Et puis le tour de France est un con parce quoi de plus délicieux que de s’assoupir devant la télé, un dimanche après midi de Juillet pendant que ces fous géniaux, sur leurs drôles de machines, se bagarrent pour que je m’en souvienne.

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