Pierre-Yves Soucy et les « Reprises de paroles »
Aussi est-il bon de suivre le fil qui reprend, dans tous les sens du terme, un tissu dont sont faites nos propres dépouilles. Là, une énergie se récupère. La force alogique de la poésie y règne intacte, nécessairement ambivalente, complexe « dès que l’énigme / persiste à demeurer muette » (ix) en face d’un pouvoir qui se joue bien de la raison, lorsque seule « la révolte répond à la menace » (xxvii). Que reste-t-il à nos combats sans armes ? Reste une confiance en sursis, hésitant devant la fascination du « vertige vertical de la beauté » (xxxi), craignant parfois que « s’efface la durée de chaque mot » (xlii), que finalement – comme chez Philippe Denis me semble-t-il en cela seulement – les « voix s’effondrent dans les chairs » (xliii)… Mais peut-être est-ce là aussi la promesse d’une sorte de réconciliation, au moins provisoire, entre les mots et nos vies, nos choses : car le flux du rythme, la circulation de la parole éclaire aussi d’autres lectures, irrigue d’autres pages, d’autres plages du grand unique « texte » multiple et changeant où nous sommes vivants, en provisoires porteurs de cette flamme de la petite, invincible Antigone. Poètes malgré tout, devant la dérision des pouvoirs ligués à l’abrasion du monde et des gestes absurdement gratuits : inutiles parce qu’aux conséquences non mesurables. Tels des échos, des reprises que l’on s’échange, d’une barque à une autre barque « dessus rivière ou sur étang », et sur la mer violette des anciens Grecs évidemment :
le corps mendiait sa solitude
celle qui avorte sur des chemins
pris de court
sans le souffle la voix peut-être
coupant la bouche ouverte
tu vises l’impossible
non l’infini possible est ici
(vii),
aujourd’hui plus que jamais, évidemment.
Jean-Charles Vegliante
Pierre-Yves Soucy, Reprises de paroles, Bruxelles, La Lettre volée, 2018.