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Nicolas Fargues : Je ne suis pas une héroïne

Par Gangoueus @lareus
« Je ne suis pas une héroïne »Nicolas Fargues, P.O.L., 272 p,
Nicolas Fargues : Je ne suis pas une héroïne
RECHERCHE« JIM » DESESPEREMENTCe douzième roman de Nicolas Fargues, paru chez P.O.L, relate la vie d’une jeune parisienne d’origine camerounaise, Géralde, en quête du grand amour, entre Paris et la Nouvelle-Zélande.
Dans l’avion en partance pour Wellington, l’héroïne, diplômée en lettres modernes, a laissé derrière elle ses petits boulots, « sans rapport avec la littérature ou l’art en général », et se remémore ses déboires amoureux, notamment les indélicatesses de cet homme dragué dans le métro, qui gardait ses écouteurs pour lui répondre, ou se précipitait sur son portable pour lire ses messages, après l’amour. Elle s’est pourtant accrochée à cet homme, et a souffert de la rupture.
Puis sont évoqués, par petites touches ici et là, les préjugés auxquels Géralde a été en butte dans la société française et les réflexions parfois blessantes qui lui ont été adressées.Pourquoi cette question constante sur ses origines ou cette réflexion sur ses cheveux « Ce sont tes vrais cheveux ? »  Pourquoi ces analogies systématiques avec une chanteuse ou une sportive noire ? Pourquoi inspire-t-elle des qualificatifs tels que « lionne, tigresse ou panthère ? ». Pourquoi utilise-t-on le mot « Black » au lieu de « Noir » ?
Dans ce roman écrit à la première personne, l’auteur se met dans la peau de Géralde et parsème le roman de ces petits faits observés ou questions, reflets d’une condescendance à son égard, sans s’appesantiret avec humour. Il révèle avec subtilité les tiraillements qu’elle subit, que ce soit avec sa famille qui lui reproche son départ en Nouvelle-Zélande : « Voyager à l’autre bout du mondepour son petit plaisir, pour sa petite personne, au nom de sa petite liberté et de son petit agrément à soi, c’est une invention des Blancs, pas de chez nous ou sa difficulté à se positionner par rapport à son entourage : elle « s’intéresse à des problèmes mineurs, dépassés, résolus : la discrimination, le plafond de verre, le contrôle au faciès. (…), mais elle n’en parle guère, elle essaie de se fondre dans le paysage : « J’ai tellement épargné cette Géralde-là aux Blancs que je ne sais plus parfois si elle existe vraiment ou si je ne l’ai pas tuée. »
Fatiguée de ces petits boulots, et de ces échecs amoureux, elle part à l’autre bout du monde rejoindre un amoureux de passage, Pierce.La deuxième partie du roman est consacrée à la rencontre avec Hadrien, séduisant journaliste français, qui va faire battre son cœur : « J’ai eu le sentiment qu’en moi, la porte de l’Amant de Duras s’ouvrait, que des digues cédaient pour laisser sortir de mon corps un fleuve entier dont j’avais jusqu’ici ignoré jusqu’à la présence secrète ». Le registre du roman change et mon intérêt s’est émoussé. Le récit se perd dans les méandres de descriptions de paysages et d’une idylle un peu fleur bleue. Est-ce le grand amour, « le vrai, le définitif, le solide, l’indubitable ? » A-t-elle enfin rencontré son Jim ? Là n’est pas l’important.
Le roman traite des questions sociétales, des rapports de couple et du rapport à l’Autre.   Nicolas Fargues le fait avec finesse et humour, et on s’attache à ce personnage féminin, aux amours chaotiques. L’auteur réussità nous faire ressentir ce que lui renvoie constamment la société, qu’elle soit française ou néo-zélandaise, en raison de sa couleur.
Dans l’émission Le Masque et la Plume, une journaliste s’est interrogée sur sa position en tant que critique blanche pour « s’exprimer pour une jeune fille noire, déjà décrite de l’intérieur par un écrivain blanc »,elle estime qu’il faut « des critiques noirs, des écrivains noirs français qui s’expriment en leur nom  et que lesjournaux leur ouvrent davantage leurs portes».Sa question pose cependant celle de l’universalité de l’écriture.Tout roman est une œuvre de fiction, qui, s’elle est réussie, vous permet d’entrer dans la peau de n’importe quel personnage, homme, femme, blanc ou noir. Il s’agit de vraisemblance ou non des personnages, que tout lecteur ou critique devrait pouvoir juger.
Ce personnage féminin m’a fait penser aux quatre héroïnes du roman de Léonora Miano, Blues pour Elise (paru chez Plon en 2010), jeunes femmes noires, cultivées, drôles, avec des préoccupations comme toute femme de leur âge, à la recherche de l’amour. Nicolas Fargues a réussi là un beau portrait.
Une analyse de Vincente Duchel-Clergeaupour le blog Chez Gangoueus
Crédit photo TheSupermat

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