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Je n ai pas aimé Black Panther et je suis noire !

Par Gangoueus @lareus

Je n ai pas aimé Black Panther et je suis noire !
Le phénomène monstre de l’univers commercial de ces derniers mois a eu des critiques pratiquement unanimes. Avant des mois de la sortie de Black Panther[1], ce dernier est au centre de multiples spéculations via les réseaux sociaux. Je tombe dessus (le phénomène), en même temps que je vois se dérouler les images de plages fines ou de jambes habilement épilées des influenceuses, sur Instagram.Je n’ai donc pas eu besoin d’aller en Wakanda. Wakanda est venu à moi. Sans diplomatie aucune mais plutôt avec ce matraquage qui nous impose une réponse. Et si comme moi vous avez la malchance ou la chance de suivre Lupita Nyong’o et ses congénères (partenaires du film) ;et bien vous êtes sur-envahis par des images d’abord belliqueuses, de personnes aux traits peu attrayants, dans un décor fantasmagorique. Vous verrez défiler des scènes incongrues de noirs maquillés pour faire peur (« un film d’horreur ? », me demandais-je alors). Ne comprenant pas ce "triste" déballage,je devais me désabonner de Lupita Nyong’o, pendant un moment. Seulement un moment. Le temps de réaliser encore qu’elle est l’une des seules actrices noires auxquelles je peux réellement m’identifier ; et dont la chevelure se rapproche de la mienne. Jusqu’à la visualisation du fameux film…Je me rappelle l’avoir trouvé trop long ;et d’en avoir eu assez de leur fameux croisement de mains et d’épaules secoués ; et qu’au troisième « Wakanda forever ! », j’ai eu envie de « tuer » quelqu’un. Acceptez, je vous prie, l’image peu euphémisée.Pourtant, sur le moment, se dire que l’on regarde un film d’envergure ;fait en partie par une équipe entière de Noirs (l’œuvre Black Panther a été créée par Ta-Nehisi Coates, et Ryan Coogler, le réalisateur du film, est noir), aurait dû suffire à calmer mes réticences. Regarder de vraisnoirs, (choisis pour ce colorisme évident), aurait donc dû me faire adhérer au projet Black Panther. J’ai souhaité enfin voir le fameux film ; j’ai épié sa sortie, jusqu’à ce que je le visse enfin. Ceci loin du cadre du cinéma, d’une manière peu formelle. Mais le film ne me convainquit guère. Ou peut-être étais-je plus critique car c’était un casting noir ? Le fait de voir certains couacs (selon moi) n’était-il pas une manière de juger durement ce qui, au final, parlait de moi ? Comme lorsqu’on voit un Noir participer à un télé-crochet et qu’à la moindre erreur, on l’arrose d’injures ; car en étant ridicule, on a le sentiment que ce dernier ridiculise toute la communauté?Black Panther s’est donné à voir comme le film fait par les Noirs, mais qui devait dominer le Box Office Blanc, mondial. Même si des tournées sont faites par des stars du casting, en Afrique; le véritable rendez-vous a lieu dans les pays les plus riches. Le film fait d’ailleurs un grand appel du pied à certaines capitales, comme une façon d’interpeller à l’identification des populations qui le verront.Un appel du pied qui moi, m’énerve. Je vois la Corée du Sud, l’Angleterre, les Etats-Unis, et je vois par extensions cette envie de légitimer la culture wakandaise aux yeux de certaines puissances ou pays d’influences. Cela me parait comme une supplication. Quand arrêterons-nous de supplier ? Quand arrêterons-nous, insidieusement, nous Noirs, de rechercher les appréciations occidentales en jouant avec leurs armes et leurs codes ?En quoi dis-je cela ? La construction du Wakanda semble une copie de ce que les puissances actuelles forment comme idéal futuriste. La nature y est morte, le fer, les matières synthétiques y sont usuelles. Tout ce que l’Afrique n’est pas. Etonnamment, seuls des vêtements primitifs et des motifs quasi ancestraux demeurent. Nous semblons rester, du point de vue Wakanda (à l’exception de la famille royale), dans un certain anachronisme inquiétant. Dans ce futur idéalisé, personne dans l’équipe du film n’a suggéré une forme d’amélioration vestimentaire pour les Wakandais. Cela reviendrait finalement à dépasser la conception des pratiques vestimentaires contemporaines ; à aller dans un au-delà du présent et donc à faire mieux que le Blanc (Louis Vuitton et Chanel ne sont pas des marques du sud). Le film n’est donc pas un succès des Noirs ; mais une inversion. On place les Noirs dans l’imaginaire blanc. On garde les peaux de lion pour les Noirs (en guise de vêtements). Et les sagaies (comme armes). Et les rhinocéros à la place des chars. Le primitivisme se lie donc à un futurisme de prémonition.Car ce que le film a de bien, c’est qu’il annonce le changement de paradigmes. Il discerne bien les transmutations qui vont se produire dans le monde à venir. Il nous dit que les générations présentes et futures, des communautés noires, ne vont pas danser sur le même pied que les précédentes. Mais malheureusement, il nous enferme, nous, Noirs, dans des schémas répétitifs et des clichés (le vêtement, entre autres).
Depuis des lustres,les Noirs (excusez de la répétition sur ledit terme; mais je ne sais quoi utiliser d’autre), se jettent à corps perdu via des productions variées. On s’est accroché à l’œuvre de Coates(le créateur deBlack Panther), comme on s’est accroché au moonwalkde Michael Jackson. Ces moments singuliers de réussite, qui nous propulsent un temps, ne font que rappeler combien nous sommes encore sur les bancs. L’unicité de certaines œuvres ne fait que rappeler notre isolement, nos manquements. Les œuvres noires ont cependant bousculé le monde. Elles ont chamboulé, à plusieurs reprises, les jeux d’influences. Elles sont même souvent plus plébiscitées. Cependant, le désir de rechercher les suffrages des occidentaux ne leur permet pas toujours de briller plus. Cela me rappelle le débat sur les Oscars, en 2016, qui a remis au-devant de la scène les controverses raciales. Ainsi, le fait de laisser des Blancs comme juges d’œuvres diverses, pouvait se révéler un frein pour la reconnaissance (selon les acteurs et actrices noirs qui se sont levés), de l’art noir et de leur valeur intrinsèque. Aussi, je me demande ce qu’il faut attendre du succès Black Panther, qui est une œuvre de Disney. Disney qui fait généralement dans la propagande d’une culture purement occidentale. C’est donc, encore une fois, sous l’apanage les puissances occidentales que l’œuvre Black Panther a trouvé son ombrage. Ce qui me parait une manière de demeurer contrôlée et donc orientée. Car s’il faut avoir l’aval des structures blanches pour soi-disant produire une production d’envergure, cela signifie que c’est en fait la connaissance ou l’envergure occidentale qui est vantée. Black Panther laisse ainsi le cadre de Coates*, pour être et devenir et rester une production occidentale.Le vrai débat est donc de savoir qui on acclame derrière le succès interplanétaire de ce film. Tout comme lorsque l’on acclamait Michael Jackson et que ce dernier se blanchissait la peau de jour en jour et révélait la victoire de l’hégémonie blanche. Les œuvres noires souffrent donc d’une réelle appartenance à leur propre communauté. Combien d’artistes noirs se sont faits copter, produire par la communauté juive ? (je souligne cela comme un fait; sans nécessairement en faire une critique ; quoique je veuille comprendre la dépendance des communautés noire à l’endroit des autres). Le fait de ne pas réellement dépendre de soi est problématique. L’absence d’une intensification (je ne peux nier que du côté noir américain et même nigérian, existe une réelle force de production, dans tous les domaines ; devenant des poids dans le monde économique, culturel) est flagrante. Le terme intensification a donc sa place. Il faudrait que des produits comme Black Panther soient l’apanage de maisons de production noire, à la solde des Noirs ; mais pour le monde. Et que ces produits se répandent aussi normalement que ceux des autres, les "dominants". De façon à ce que leurs sorties ne soient plus considérées comme exceptionnelles.La question n’est pas de salir cette production au motif qu’elle admet un léger casting blanc ; une production blanche ; auquel cas ce texte serait dangereux. Mais simplement de prier que dans les temps à venir, naissent, comme chez les puissances occidentales, des œuvres dont les bénéfices profiteraient à leurs communautés et propageraient librement leur idéologie.Car je maintiens que si une personne est le pourvoyeur financier, elle a la mainmise sur les devises ; et peut donner l’orientation qu’elle veut à ce produit. Ceci est donc risqué. Mais cela révèle comment les choses ont souvent fonctionné. On se rappelle de ce Disneyde la Princesse et de la grenouille[2] ; ce Disney qui enfin, se décidait de raconter l’histoire d’une "princesse" noire. La réception fut déceptive, (de mon point de vue), auprès des petites filles noires. Elles ne se reconnaissaient pas toutes dans cette jeune noire (Tiana), aimant le jazz, à la voix rauque, issue de la Nouvelle-Orléans.Il y avait certes un contexte précis, propre aux petites filles noires américaines, mais cela demeurait une représentation conçue par les puissants. Ceci enfermait donc toutes les imageries noires pour emprisonner la fille noire dans une vision exclusive et donc fausse. Ou incomplète.
L’autre élément d’inquiétude, pour la spectatrice que je fus, subsistait dans une certaine lecture du cadre et des personnages.L’Africaine que je suis ne s’extasia pas devant le Wakanda car elle sait que pour arriver à cela il faudra encore de longs et tortueux chemins. Je n’eus aucune compassion pour la mort d’Erik Killmonger. Trop de haine,trop d’esprit d’anarchie.Trop de vision de rupture qui ne désigne qu’un mal être profond. Il se présentait comme la version du Noir déporté ; plein de blessures, de colère, d’envie. Une vision de force, mais non maîtrisée.On comprit vite qu’il nous fallait choisir entre deux Noirs. Le coléreux Killmonger, et le roi du Wakanda, T’Challa, plusconciliant. Ce dernier était une sorte de Noir Africain non colonisé, donc sain ; à la vision politique ubuntuaise.Et que dire des femmes ?Entre cheveux très courts (les femmes noires seraient chauves) et attitudes d’attente, je n’ai pas su m’identifier. Les femmes, encore une fois, attendent trop le point de vue masculin. Elles se rebellent sur le tard et semblent alors réaliser qu’elles avaient de la force. Réalisent enfin que le changement était en fait entre leurs mains. Même au Wakanda, le sexisme existe. On n’a pas su créer une société africaine avec des femmes réellement autonomes. Et puis,achevons. J’ai donc trouvé le film long, sans doute à cause de la fatigue. Mais le lendemain, j’ai mis un poste en soutien sur mes réseaux sociaux. Il fallait bien que je soutienne le premier film noir à rester des semaines d’affilée au box-office mondial.Wakanda forever !
Un article de Pénélope Zangpour le blog Chez Gangoueus


[1]Le film est sorti en 2018, avec une réalisation de Ryan Coogler ; et les acteurs Chadwick Boseman ; Lupita Nyong’o ; Danai Gurira ; Micharl B. Jordan, et bien d’autres. C’est un film de 135 minutes, des Studios Marvel.[2] Sorti en 2009 sous le nom de The Princess and the Frog, sous un format de 97 minutes, par Walt Disney Pictures.* A propos de Ta-Nehisi Coates, nous nous appuyons sur les trois derniers Marvel sur le personnage de Black Panther ayant rencontré un vif succès aux États Unis (dont il est le scénariste), pour en voir un des fondateurs  (de Black Panther).

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