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Mohammad, ma mère et moi, de Benoît Cohen

Publié le 03 juillet 2018 par Africultures @africultures

Encore un livre sur les réfugiés. Mais cette fois un livre qui fait du bien. Le livre d’un cinéaste écrivain.

La saturation. On nous parle des réfugiés sans arrêt. La jungle de Calais, la vallée de la Roya, l’Aquarius, les statistiques de morts en mer… En dehors de quelques rares émissions, livres, films ou webdocumentaires s’attachant à des destins individuels, l’image médiatique nous situe les réfugiés comme tous les migrants comme une masse indifférenciée, une foule inquiétante, un déferlement. Il est dès lors facile pour les idéologies de la haine de crier à l’invasion, à la perte de sa culture, au grand remplacement. De plus, ils seraient tous musulmans et comme bien sûr, islam = terrorisme, la peur s’installe.

Mohammad, ma mère et moi, de Benoît Cohen
Bref, comment nous intéresser encore à une histoire de réfugié ? C’est pourtant le pari gagné du livre de Benoît Cohen. Sans doute parce que son écriture est simple, épurée, limpide, personnelle, impliquée, comme on parle à un ami. Peut-être aussi parce que Benoît Cohen est cinéaste. Il écrit son livre comme un scénario : suite de scènes marquantes, de dialogues qui donnent sens, ancré dans le réel mais toujours avec le souci de prendre de la hauteur. Il nous concerne d’abord par le fait de situer son livre lors de l’avènement de Donald Trump à la présidence. Il s’installe avec sa famille aux Etats-Unis et manque de pot, c’est le raciste Trump qui, contre toute attente, gagne les élections. Stupéfaction et sidération. Etait-ce le bon lieu où se poser ?

Mais voilà que sa mère de 70 ans se met en tête d’accueillir un réfugié chez elle. Elle habite un hôtel particulier dans le 7ème arrondissement de Paris, autant dire qu’elle ne manque pas de moyens. Le geste est humain : elle est sensibilisée par une interview du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki dans un magazine, qui s’indigne du traitement des migrants. Son esprit turbine. Cela va avec son caractère de guerrière. Pourquoi pas chez moi ? Elle entend à la radio un représentant de l’association Singa et y dépose un dossier. Après contacts et préparation, un Afghan de 22 ans, Mohammad, débarque dans sa vie. Et donc dans celle de la famille.

Benoît Cohen est cinéaste. Il a réalisé six films, notamment Nos enfants chéris (2003) et Tu seras un homme (2013). Il est aussi producteur, scénariste et écrivain, auteur de Yellow Cab (Flammarion, 2016). Il a une grande affinité avec sa mère et cherche à la comprendre. Mais il flaire aussi un sujet. Il vient en France, rencontre Mohammad et lui propose de faire quelque chose de son histoire. Et la recueille donc avec un enregistreur. Cela ne se fait pas en un jour. Il faut se familiariser, surpasser les réticences. Après ce qu’il a vécu, Mohammad est traumatisé, à fleur de peau, fragile. Et il est exilé.

Mais le gars a du ressort. Il aurait eu toutes les raisons de désespérer mais il en veut. Propulsé par la mère de Benoît, qui joue peut-être un peu beaucoup les mamans mais lui ouvre toutes les portes possibles, il se met en tête de réaliser son rêve : étudier à Sciences Po. C’est cette histoire à la fois très réelle et conte de fée que raconte avec humour Benoît Cohen. Et c’est parce que cette histoire pourrait être la nôtre que ce livre nous accroche au point de ne pouvoir dormir avant de l’avoir terminé.

Car se pose pour chacun la question du geste solidaire. Comment être auprès de ceux que le repli sur soi occidental rejette et meurtrit ? Comment aller à leur rencontre ? Cohen se renseigne auprès de l’association Singa : elle cherche à valoriser les compétences et les passions des réfugiés. « Un réfugié n’est pas qu’un réfugié, c’est un ébéniste, un cuisinier, un scientifique, un agriculteur, un sportif… » (p.157). En dressant le portrait humain de chacun, y compris de ceux qui proposent l’hébergement, elle rapproche des gens qui vont pouvoir s’enrichir mutuellement. Il ne s’agit pas dès lors d’accueillir la misère du monde mais de parler à égalité. Sauf que l’un est bien installé et que l’autre débarque, avec plein de problèmes à résoudre. Il faut donc bien s’entendre et donc préparer la meilleure compatibilité possible entre les personnes : centres d’intérêts, points communs.

Chassés, trahis, risquant leur vie, méprisés, parqués rejetés au départ et à l’arrivée, les migrants d’aujourd’hui vivent une plus grand violence encore qu’autrefois. Ils meurent socialement, dévalorisés, humiliés. Ils font sans cesse des cauchemars car leur vie est un cauchemar. Leur destin est collectif, mais il est avant tout individuel. Chacun vit différemment ce destin difficile, certains plongent, d’autres arrivent à saisir le déclic qui leur permet de rebondir. La mère de Benoît a réussi ce qui est presque mission impossible : lui faire confiance pour aider Mohammad à restaurer celle qu’il a en lui. C’est ainsi que ce livre porte aussi sur ce que donner veut dire et que sa lecture s’impose.


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