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Interview | Rencontre en toute simplicité avec le passionnant Gilb’R

Publié le 04 juillet 2018 par Le Limonadier @LeLimonadier

Fondateur de Versatile Records, pionnier de la scène électronique des 90's en France, ancien de Radio Nova et dj invétéré, plus besoin de présenter Gilbert Cohen aka DJ Gilb'R, mélomane à la discothèque éclectique au possible, qui laisse nos Shazam désemparés. Dans un mois, il mixera sur une des belles scènes du Dekmantel Festival pour nous envoyer une selecta dont lui seul a le secret et qui promet, comme à son habitude, de bien nous faire danser (oui, on y sera nous aussi).

Mais en attendant de s'envoler/rouler/pédaler/marcher/nager/creuse jusqu'à Amsterdam, sa ville d'adoption, nous avons réussi à lui soutirer quelques anecdotes et informations sur ses projets et sa vision de la scène électronique. On s'est calé pour une petite pause papotte sur la grande scène du Monticule Festival, avant de le laisser repartir à ses occupations festivalières et son set ambient à 4h du mat à côté de la piscine !

J'ai déjà joué dans tous les autres festivals de l'équipe, mais pas le Dekmantel. Je le sens bien ! De toute façon, à chaque fois que j'ai joué pour eux l'expérience était géniale et la réponse du public vraiment délirante. Je pense notamment au set que j'ai fais en B2B avec Young Marco il y a 3 ans pour Lente Kabinet. Franchement ce set est dans mon top 10 de souvenir de gig, surtout au niveau de la réponse des gens. C'était complètement fou, voire même un peu paganisme à un moment donné. Donc voilà j'espère qu'on arrivera à faire la même chose début août !

Peux-tu nous citer des artistes clés qui t'ont inspirés en tant que DJ et/ou producteur ?

Lil Louis, Jeff Mills, Maurizio et Kenny Dope. Ce qui m'attire principalement c'est leur manière de traiter le son et d'approcher la musique. Je retrouve surtout ce truc un peu dub, avec un aspect club et rythmique, et en même temps assez abstrait.

On ne va pas refaire l'historique de Versatile, tout le monde connaît l'histoire de ce fabuleux label, mais quels sont les sorties dont tu es le plus fier aujourd'hui ?

Le premier album d'Etienne Jaumet qui s'appelle "Night Music" sorti en 2009. A l'époque, je cherchais à travailler avec Carl Craig parce que c'était (et c'est toujours) vraiment une influence, surtout pour I:Cube et moi. Donc plutôt que de collaborer sur un remix, on a trouvé plus intéressant de lui proposer de produire et mixer le disque. C'est vraiment un de mes disque préféré du label.

Forcément un Château Flight (duo composé d' I:Cube et moi-même). Peut-être la track "Cosmic Race" sortie en 2002. C'est le morceau qu'on a produit le plus rapidement, en quatre heures pour être exact. Au final, il s'est un peu imposé comme un son au carrefour de différentes d'influences et qui rassemble un peu les styles : il a été joué aussi bien par des djs Techno que House ou Trance.

Et enfin, je dirais le tout dernier I:Cube : un double pack qu'on a sorti en mai.

Parlons plus au DJ qu'au producteur : tu es plutôt "je prépare mon set" et tu colles au max à ce que tu avais préparé, ou plutôt "je prends un max de skeud et j'aviserai sur place en fonction de la population et de l'esprit de la soirée" ?

Un peu les deux finalement. En général je prépare mes sets, mais je ne respecte pas vraiment ce que j'avais prévu. Le plus important pour moi c'est vraiment le début, car les deux premiers morceaux vont donner la tonalité du reste du set. Selon mon expérience, avec ces deux morceaux quelque chose se passe, et permet (en général) au reste de suivre. Donc en général je prépare des disques que j'ai vraiment envie de jouer, sans ordre particulier, en me focalisant surtout sur les deux premiers morceaux.

En ce moment, j'ouvre souvent avec un live qu' I:Cube a enregistré aux Nuits Sonores cette année : j'essaye toujours d'avoir dans mes sets des tracks que les autres n'ont pas.

Quelle est ta vision de l'évolution des scènes électroniques ?

Je trouve que cette évolution est particulièrement bonne depuis quelques années et que le public actuel n'a jamais été aussi ouvert qu'aujourd'hui ! Donc pour moi, en tant que dj, c'est un réel plaisir. Surtout étant donné que j'ai toujours essayé de jouer des choses différentes dans mes sets : aussi bien de la techno, du disco, parfois du reggae... A une époque, les gens étaient un peu plus dans un truc "autoroute" on va dire, alors qu'aujourd'hui beaucoup moins. Personnellement l'évolution je la voie comme ça : une plus grosse ouverture, forcément dû à Internet, et à toute cette génération qui a pu se créer une culture musicale et avoir accès à des choses qui étaient très difficiles d'accès avant. Si on ne se plongeait pas vraiment dans les disques, c'était bien plus difficile. Alors qu'aujourd'hui tout est là. Du coup les gens sont un peu en mode auto-éduqués, selon leurs envies et leurs désirs. Mais ça n'empêche pas qu'il faut faire la démarche de chercher l'information, de savoir ce qu'on cherche et de se plonger dans les disques.

Si je te dis que tu as " full money ", et que tu dois choisir 10 artistes pour organiser un festival, tu fais venir qui ?

Je répondrai plus tard, parce qu'il faut que je réfléchisse ! (rires)

Il y a quand même un artiste qui me semble assez évident et que je trouve très intéressant en ce moment : c'est Nosedrip. Il s'agit d'un jeune mec belge d'environ 25 ans qui possède le label . Pour moi, il synthétise un peu ce truc de la jeunesse d'aujourd'hui : une très bonne culture musicale mélangée à une technique de djing assez imparable. C'est souvent soit l'un soit l'autre, mais lui il a vraiment la qualité de maîtriser les deux, avec une approche à la fois orientée sur le passé et tournée vers l'avenir.

On a vu que tu as exposé à Amsterdam en début d'année des photos portraits de rue et de soirées. Peux-tu nous parler de ce projet "The Fluid" ? En quoi c'était important pour toi de faire ça ?

Je fais des photos depuis pas mal de temps déjà. C'est quelque chose que j'aime bien explorer, de manière assez légère sous forme de hobby. La différence par rapport à la musique, c'est que dans la photo il y a un truc assez solitaire dont j'ai besoin, parce que je suis tout le temps dans des soirées et des environnements sociaux où je côtoie beaucoup de monde. Donc la photo me permet d'être un peu à l'extérieur de tout ça.

En montrant des photos à Orpheu The Wizard qui s'occupe de Red Light Radio, il m'a proposé de les exposer dans un petit espace à côté de la radio. C'est comme ça qu'est né le projet de l'exposition et dans la foulée du livre, afin d'en conserver une trace. J'ai auto édité ce petit bouquin accompagné d'un cd à l'intérieur (composé par I:Cube ndlr). On peut l'acheter uniquement sur le site Versatile, mais bon là il n'y en a plus, il faut que j'en remette en stock !

Interview | Rencontre en toute simplicité avec le passionnant Gilb’R

Tu aimerais bien continuer à faire plus de projets dans la photo ?

Oui mais quelque chose de différent. "The Fluid" était essentiellement axé sur des portraits. J'ai déjà d'autres propositions de la part d'amis dans la musique et sensibles à l'univers de la photo. J'imagine un projet sur un format un peu papier, plus élaboré, et sophistiqué. Affaire à suivre...

Peux-tu nous raconter la genèse et le contexte de la sortie de la various compil "Source Lab" (sortie en 1995), composée de légendes et pionniers de la French Touch ?

Cette compil fut produite par le label Source, c'était une subdivision de Virgin, avec comme directeur artistique Philippe Ascoli. Elle est un peu le résultat du bourgeonnement de toute cette scène qu'on appelait la French Touch à un moment donné, avec pleins d'artistes émergents différents : AIR, (aka Cassius), Motor Bass, The Mighty Bop (aka Bob Sinclar)... Philippe a voulu cristalliser et réunir tout ça comme une photographie de cette scène émergente en 1995.

La sortie VER 002 est une production d'un certain Cheek AKA Gilbert Cohen aka TOI ! Peux-tu nous justifier ce nom ? Etait-ce un alias pour mieux se faire accepter par la communauté club/LGBT de l'époque ? (rires)

Non, je ne vais pas prendre un pseudo pour me faire accepter de quelconque communauté, qu'elle soit LGBT ou autres. Vu qu'à cette époque je jouais pas mal de Drum and Bass et produisait un certain style de son, l'idée était de prendre un pseudo pour pouvoir produire d'autres choses. Finalement, je n'ai produit qu'un seul disque sous ce nom là, qu'est devenu d'ailleurs une des plus grosse vente du label ! Pas grâce à mon mix, mais plus grâce au mix de Dj Gregory. Ça s'est un peu fait par accident : au début le remix devait être fait par La Funk Mob, mais après m'avoir fait galérer, j'ai finalement demandé à Gregory qui à l'époque commençait à produire. Il a piqué quelques disques dans ma discothèque, et m'a dit "écoutes, je vais essayer un truc"... et c'est devenu "Sunshine People" !

Quel regard portes-tu sur les carrières de mecs comme Bob Sinclar et Guetta, que tu as connu à leurs débuts ? Dirais-tu toi aussi qu'ils ont "vendu leur âme" ?

Je ne porte pas de jugement sur s'ils ont vendu leurs âmes ou quoi, mais je ne pense pas. Bob Sinclar est un mec qui a toujours été fasciné et attiré par les paillettes, le star system et le fait d'être connu. Quant à David Guetta, je pense que c'est un mec sincère dans ce qu'il fait. Moi ce n'est pas du tout mon truc, mais je crois que malgré tout il y a une sincérité dans ce qu'il fait. De tout façon quand on fait de la musique par cynisme, souvent ça ne marche pas, il faut un minimum de vérité, d'authenticité. Je pense qu'il a toujours fait ce qu'il lui plaît. Déjà dès ses débuts il était orienté par la House assez commerciale et non par des sons abstraits et barrés. Par contre, c'est marrant parce que c'est quand même un des mecs qui a amené l'Acid House en France au tout début ! Il avait d'ailleurs des émissions sur Nova, et a vraiment commencé en tant que dj. Il s'est révélé producteur presque 10 ans après avoir commencé à mixer.

Que peux-tu nous dire sur le prochain EP de Château Flight qui sort fin septembre sur Versatile ?

Ça fait 5 ans qu' I:Cube et moi avons arrêté de faire de la musique ensemble sous notre nom Château Flight : lui voulait retourner à ses productions perso et moi je suis partis vivre à Amsterdam. On avait moins l'occasion d'être ensemble en studio, l'envie n'était plus spécialement là des deux côtés, mais on savait que ça allait revenir à un moment donné. Nicolas (aka I:Cube) est venu à Amsterdam pendant une semaine, pas dans l'idée d'aller en studio mais pour passer du bon temps. Fatalement on a atterri dans mon studio, et on a produit 5 morceaux en 5 jours, tous très différents les uns des autres. Le truc est vraiment sorti comme ça et c'était très agréable de retrouver un peu cette connexion. C'est comme si on avait repris l'histoire exactement où on l'avait laissée, en y ajoutant l'expérience que chacun a eu entre temps.

Interview | Rencontre en toute simplicité avec le passionnant Gilb’R

Quels sont les autres projets à venir sur le label ?

2018 est l'année où on va sortir le plus de disques depuis que le label existe ! J'ai signé un nouvel artiste qui s'appelle C'est un des projets phare de l'année, avec notre prochain EP Antoine Kogut et qui a lancé son projet solo après avoir quitté son groupe Syracuse. C'est assez différent des trucs qu'on a pu sortir, car c'est limite assez pop, mais je trouve le projet super et bien inséré dans l'esprit Versatile. Château Flight et le nouvel album d' Etienne.

Question à 100 balles : ça te fait quoi de te dire que tu as rendu de nouveau sexy le prénom Gilbert ? Perdu aux oubliettes jusqu'à ton arrivée sur cette planète... (rires)

A bah écoutes, franchement je suis très content que tu me poses cette question (rires), parce que depuis le temps personne ne me l'a jamais vraiment posé ! J'ai bien conscience que le prénom Gilbert peut évoquer un truc un peu désuet. C'est un nom que j'ai adopté au début des 90's, à l'époque où je travaillais à Radio Nova. Il fallait que je trouve un nom et je l'ai choisi un peu comme ça sans vraiment me pencher dessus. Et du coup c'est resté. Donc voilà, on va dire que je suis content pour tous les autres Gilbert (rires) ! D'ailleurs j'ai vu que récemment, un mec de Bristol a fait un disque sous le nom de Dj Gilbert. Et c'est marrant parce que les mecs de Red Light Radio étaient en train de jouer un morceau de ce mec en pensant que c'était moi... J'étais just à côté et ils me disent "on est en train de jouer ton morceau", mais ce n'était pas moi, c'était ce fameux mec de Bristol !

La question bonus du Limo : si tu étais une boisson/cocktail, ça serait quoi ?

Vodka Redbull, le classique !

Merci Gilb'R d'avoir pris le temps de répondre à nos questions. On a hâte de te retrouver au Dekmantel Festival début août !


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