La critique
Rosemary (Mia Farrow) et son époux Guy (John Cassavetes) emménagent dans un nouvel appartement pour lequel ils ont eu un coup de cœur. Rosemary est une femme au foyer douce et ravissante et Guy est un acteur en quête du rôle qui fera décoller sa carrière. Alors que les rénovations du logis s’achèvent, Rosemary fait la connaissance d’une de ses voisines. Une ex droguée recueillie par un couple de vieilles personnes. Mais voilà que la jeune femme est retrouvée morte suite à un suicide curieux. Pas le temps de se torturer avec cette sombre histoire ni d’écouter certains amis qui prétendent que le bâtiment logeait autrefois des sorciers. Rosemary et son mari projettent de faire leur premier enfant et font connaissance avec leurs deux voisins qui hébergeaient la suicidaire. Un couple très dévoué, curieux et assez envahissant. Alors que Rosemary aimerait préserver son intimité avec son amoureux, ce dernier tombe sous le charme de son sympathique grand père de voisin. Le couple offre à Rosemary un collier de Tanis, une plante censée porter bonheur mais à l’odeur assez dégoutante. Alors que Rosemary finit par tomber enceinte dans de bien étranges circonstances (son mari l’aurait enfanté alors qu’elle dormait et cela en la griffant violemment !), les ennuis s’accumulent. Des proches meurent, le corps de Rosemary se dégrade…Soignée chez un médecin aux conseils étranges recommandé par les vieux voisins, Rosemary affiche une mine déconfite et commence à se poser des questions pour le bien de son bébé. Et si ses dévoués voisins ne lui voulaient pas autant de bien qu’ils le prétendent, et s’ils étaient des dangereux sorciers ? Paranoïa, folie ou lucidité au-delà du réel ?
Avec Rosemary’s Baby, Roman Polanski signe un de ses plus grands films et un grand chef d’œuvre du cinéma. Une œuvre horrifique et intemporelle car elle parvient à jouer avec des angoisses universelles et en relation avec notre quotidien. Truffé de scènes inoubliables, ce film sensoriel au suspense perpétuel est habité par l’interprétation époustouflante de Mia Farrow. Passant d’une jeune femme épanouie, rieuse, charmante, elle devient petit à petit une loque humaine qu’on soupçonnerait volontiers d'être au bord de la folie. Les cheveux coupés, la peau blanche comme de la crème, l’air paniqué : Rosemary nous inquiète profondément et nous plonge au cœur de ses angoisses et démons. La scène de la conception de l’enfant est renversante : à la fois terrifiante, enivrante, avec une subtilité étourdissante dans la mise en scène.
Pourquoi diable ce film fonctionne-t-il toujours autant des décennies après sa conception ? Déjà pour la figure de la femme enceinte. Difficile de ne pas s’y attacher et de ne pas comprendre le combat que mène Rosemary pour protéger son futur enfant. Et qui dit femme enceinte, dit souvent femme fragile. Et tout l’entourage de Rosemary, profondément malsain, va profiter de cette faiblesse pour la tromper. Portrait d’une société à l’individualisme naissant (il suffit de voir à quelle vitesse on oublie la mort des gens ou les tragédies qui leur arrivent pour se concentrer sur son petit bonheur personnel) , d’un monde où l’on ne peut plus se fier à personne, cette œuvre maitrisée et obsédante nous tient en haleine du début à la fin en instaurant un doute : Rosemary est-elle en pleine paranoïa, névrosée à l’approche de son accouchement ou bien ces histoires de sorciers sont-elles vraiment probables ? Entre réalisme et fantastique, le film nous balade vers des sensations extrêmes (mêlant rires, effroi, sensualité dérangeante). Un des plus beaux personnages de femme que le cinéma nous est offert.