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Cinéma : "Gutland" de Govinda Van Maele

Publié le 04 juillet 2018 par Paulo Lobo
Cinéma

Le mystère est dans le pré

Il y a quelque chose de fort dans ce film de Govida van Maele, il a réussi à faire du cinéma avec des éléments purement luxembourgeois, un cadre, des ambiances, des personnages, un langage, une façon d’être. On est au cœur du monde rural luxembourgeois, Govinda nous emmène à la rencontre d’une communauté âpre, un peu sauvage, un peu chaleureuse, un peu inquiétante sur les bords. Et voilà que débarque en son sein un être venu d’ailleurs, un allemand mal rasé et aux cheveux longs, Jens, un garçon manifestement à la dérive, qui a le regard farouche et le verbe court, mais qui arrive à se faire embaucher par l’un des fermiers de la région - un coup de main est toujours le bienvenu pour venir à bout des récoltes dans les champs. Les Luxembourgeois devinent que ce Jens a quelque chose à cacher, un passé trouble, mais ils n’en font pas une histoire, acceptent sa présence, n'exigent de lui que son travail, et le laissent même s’immiscer – d’abord de façon passive puis de plus en plus activement - dans les petits et grands événements de la vie sociale du village. De plus, la gente féminine ne reste pas insensible au charme fauve du bonhomme, notamment la jeune Lucy, la fille du bourgmestre.
Pour moi, le film se divise clairement en deux parties, l’une hyper-réjouissante et l’autre franchement décevante. Pendant une heure, Govinda nous plonge progressivement dans l’atmosphère de ce village qui semble vivre en autarcie, un peu comme le Brigadoon de Vincente Minnelli. Le réalisateur fait un excellent travail sur les espaces, les grands espaces de la nature, et les « petits » espaces à l’intérieur des murs. Entre prairies, champs et rivière, nous respirons le grand air luxembourgeois et nous comprenons comment se déroule la vie et le travail de cette communauté rurale. Govinda prend son temps, il fait se dilater plusieurs moments dans une approche quasi-documentaire, nous sommes au plus proche des êtres et de leurs coutumes. Un peu comme Jens (très bien interprété par Frederick Lau), nous sommes à la fois fascinés et déconcertés par la rudesse de ces êtres au franc-parler.
Le travail sur la photographie (signée Narayan Van Maele) est superbe : j’ai rarement vu un film aussi beau plastiquement, dans sa façon de nous dépeindre aussi bien les paysages naturels que les scènes d’intérieurs dans les habitations et cafés.
J’ai été conquis par le côté alangui et contemplatif de la première heure. Tout semble aller pour le mieux dans cet endroit qui a des airs de fin du bout du monde, mais ici et là le réalisateur laisse poindre des notes d’étrangeté et d'anxiété : le sourire mi-ironique, mi-menaçant du maire Jos Gierens (excellent Marco Lorenzini) ou encore la découverte d'une vieille ferme laissée à l’abandon, morte dans sa poussière et ses toiles d’araignée, surveillée par un mystérieux chien noir.
On devine que tout ne tourne pas vraiment rond dans ce monde bucolique.

Cinéma

Frederick Lau, excellent dans le rôle de Jens, l'étrange étranger.

J’aime beaucoup le portrait que fait le réalisateur de ces êtres rustres et taiseux (chapeau à Leo Folschette !), travailleurs et soudés ensemble, mais qui ne rechignent pas à faire la noce et à s'appliquer dans la fanfare locale. Les séquences autour des travaux de la ferme et de la récolte sont imprégnées d’un flair pastoral qui fait presque penser à Terrence Malick, sans le côté mystique.
Bien sûr, le film, surtout dans sa première heure, est sublimé par la rayonnante Vicky Krieps, qui compose une sorte de fille-soleil traversée de lumière et de joie de vivre.
Les problèmes arrivent dans la deuxième heure du film. Nous voilà bien calés dans le décor, les personnages nous ont clairement été exposés, avec une présence forte, une densité, une profondeur réelle. Le mystère est entier et savoureux, plusieurs questions restent en suspens, on sent que quelque chose de grave s’est passé ou va se passer, et on veut voir la suite.
La suite justement. Techniquement, la 2e heure de film reste maîtrisée, les lumières, les espaces, le montage, la fluidité, la mécanique fonctionne toujours, mais quelque chose s’écroule au niveau de la narration. On a l’impression que tout le mystère accumulé pendant la première partie éclate comme une bulle de savon. Les personnages ne sont guère développés, ils pédalent à vide et rien ne décolle plus, le récit semble de plus en plus décousu. Je pense que là où ça pêche vraiment, c’est au niveau du scénario, qui cale et hésite entre plusieurs directions - film fantastique, thriller rural, film noir -, sans qu’aucune ne soit aboutie, et donnant lieu à quelques pirouettes quasiment grotesques.
Il y a quand même quelques belles idées de cinéma, je pense en particulier à une étrange course-poursuite au milieu d’un champ de céréales.
Par ailleurs, la dernière partie du film surligne et se complaît dans une sorte de message à valeur socio-politique : comment un être étranger, forcément différent, finit par être intégré, assimilé, phagocyté par une communauté renfermée sur elle-même et qui l’oblige à accepter ses rituels et son mode de fonctionnement. Comment un individu fort de sa différence finit par se laisser couler dans le moule de la communauté, avec un sentiment mêlé de regret et de satisfaction. Un peu trop démonstratif comme exercice à mon goût, même si la dernière scène est très belle.
Tout cela étant dit, je vous recommande quand même d’aller voir ce film, qui dénote une vraie patte de réalisateur, un regard d’artiste sensible et une grande souplesse technique. "Gutland" bénéficie aussi d’une photographie extraordinaire et d’un jeu d’acteurs assez prenant. Enfin, malgré le côté erratique de la 2e heure, le film nous offre un regard assez affuté sur le pays. Un Luxembourg champêtre et profond, hypnotisant parfois, que l’on a envie à la fois d’aimer et de fuir – comme le dit si bien Lucy-Vicky à un moment de l’histoire.

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