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Richard Avedon : de l'art du portrait

Publié le 05 juillet 2008 par Marc Lenot

De Richard Avedon, on connaît surtout les photos de mode et de stars : le mannequin aux éléphants, le plus beau portrait de Marylin ou la série ‘The Family’ d’hommes de pouvoir et de politique. On connaît la force de ses portraits, sa capacité à révéler. Tous vous parleront de ses monstres sacrés (Katherine Hepburn, remarquable ou le Dalaï-Lama) et de ses timides dévoilés (Giacometti, Duchamp).

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La rétrospective du Jeu de Paume (jusqu’au 28 septembre) offre cela, et bien plus encore. Comme parfois dans ce musée (, par exemple), on parcourt les premières salles avec un intérêt poli, c’est beau, c’est intéressant, c’est bien présenté, mais on ne vibre pas encore. Et puis, à un moment, tout à coup, l’exposition bascule, se met à prendre une autre dimension, on ralentit ses pas, on passe plus longtemps devant chaque photo, on revient en arrière, on est soudain dans un autre monde : un coup de foudre avec retardateur. C’est ce qui s’est passé pour moi ici, à deux reprises.

D’abord, le Jeu de Paume a obtenu de montrer ici l’intégralité de la série ‘In the American West’ : portraits de gens ordinaires, sur fond blanc (une grande feuille de papier accrochée à un camion en plein air). Le genre noble du portrait, qui montrait quelques cimaises plus tôt Kennedy ou Picasso, se penche soudain sur des mineurs, des serveuses, des sans-logis.

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C’est le même genre, le même photographe, la même découverte des personnages, mais c’est autre chose, d’autres valeurs, une autre position du photographe, de la photographie dans le monde. Et ces portraits sont stupéfiants de présence. Certains d’entre eux sont présentés dans une salle aux murs noirs, comme dans une galerie de mine, où les fonds blancs des photos sont éclatants de lumière (ci-contre).

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Ensuite, au-delà des photos elles-mêmes, c’est leur assemblage, leur montage qui m’a retenu. Il y a des diptyques avec juxtaposition du sujet de près et de loin, crevant la toile sur un des panneaux et s’éloignant de nous sur l’autre, ainsi Samuel Beckett (Paris, 13 avril 1979) songeur, Francis Bacon inquiet ou Clarence Lippard (en haut; sans domicile fixe, Interstate 80, Sparks, Nevada, 29 août 1983, de la série ‘In the Ameriacn West’) aux allures de lord anglais tavelé, jouets doublonnés de cette fausse proximité de la représentation.

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Il y a des triptyques, comme les portraits d’Igor Stravinsky (New York, 2 novembre 1969) dont, d’une image à l’autre, les yeux se lèvent et nous fixent. Ce montage de trois photos côte à côte est si puissant qu’on ne peut s’en détacher aisément. Il y a des ensembles enclos dans une petite salle, comme les sept photos de son père, Jacob Israël Avedon vers la fin de sa vie, d’octobre 1969 à août 1973, de plus en plus décharné et détaché: toutes les photos sont exactes, dit Avedon, aucune n’est la vérité à elle seule. Mais c’est peut-être de l’ensemble, de la série, du montage que peut naître une plus grande proximité avec la réalité.

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Enfin, il est des montages plus complexes, où Avedon présente côte à côte des doublons, des recoupements, inventant un langage visuel plus élaboré, un bégaiement délibéré, comme pour nous mettre le nez sur la photo elle même, sur sa matérialité (à noter l’excellente initiative de présenter bon nombre des tirages sans verre protecteur, donc sans reflets malséants). Dans le portrait décomposé et recomposé des Chicago Seven (Chicago, 25 septembre 1969), Abby Hofman et Jerry Rubin, les deux activistes les plus radicaux du groupe, se dédoublent partiellement, renforçant la charge explosive de l’image.

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De même, dans l’immense fresque des membres de la Factory (Andy Warhol et les membres de la Factory, New York, 30 octobre 1969), l’ambigu/üe Candy Darling, au tiers gauche, a comme un écho de son corps apparaissant dans l’image centrale (voir ci-contre), comme un signe de sa double identité, cependant que le poète Gerald Malanga, à droite est dédoublé : gémellité et ivresse. Ces artifices de montage, ces conventions d’assemblage ne sont pas innocents et on pourrait sans doute y déchiffrer toute une grammaire du signe.

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Enfin, ces quatre mineurs de charbon (Roger Tims, Jim Duncan, Leonard Markley et Dan Melak, Reliance, Wyoming, 29 août 1979, de la série ‘In the American West’) encore couverts de poussière noire, acquièrent une aura plus forte, une présence plus vive dans ce montage qui les découpe et les démultiplie. Plus qu’avec les beautés fashion du rez-de-chaussée, c’est ici que réside toute la force et la pertinence de Richard Avedon, à mon sens. 

Photos de l’auteur (excepté Beckett). © The Richard Avedon Foundation.


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