« J’aurais bien voulu t’écrire une chanson d’amour mais par les temps qui courent ce n’est pas chose commode ». C’est une chanson de Jacques Higelin, accompagné d’Areski, qui dure deux minutes trente. Le texte est entrecoupé de « la-la-la-la-la » qui exprime la difficulté dont rendent compte les mots. L’impossible amour. Éric Fourmestraux, adoptant l’écriture en boustrophédon proposée par la galerie Schumm-Braunstein, fait circuler le texte de droite à gauche puis de gauche à droite, puis à nouveau de droite à gauche, etc. choisissant de rendre évidents les mots qu’il fait se répéter six fois comme le suggère Jacques Higelin, à chaque répétition écrivant en noir les mots qu’il révèle, la phrase apparaissant clairement à fa fin sur une colonne légèrement penchée, de haut en bas.
Le même Éric Fourmestraux reprend une autre chanson de l’album Higelin - Areski, mais, cette fois, sans suivre l’écriture en boustrophédon. Il s’agit pour lui d’inscrire le texte en rond, dans un cercle ouvert, de cette phrase : « Cet ours continuait à tourner en rond dans sa cage des heures durant alors qu’on en avait depuis longtemps ouvert la grille », aphorisme à propos de liberté toujours à conquérir.
Chaque oeuvre exposée dans cette Galerie jusqu’au 7 juillet méritait qu’on s’y arrête. D’abord parce que le titre, Boustrophédon, invite à lire, à suivre le sillon, à balancer d’un côté puis d’un autre, à pencher la tête pour lire la phrase, et parce que quelque chose y était révélé.
Le vieillissement d’un Christ déjà gisant, au tombeau, de Hans Holbein le Jeune, repris par Horacio Cassinelli, tandis que le texte qui s’insère entre les images définit le torticolis. Penser que Jésus est un homme et que son corps peut donc avoir souffert comme un corps d’homme.
Kopis ou la séparation des songes est une installation d’estampes de François Righi à partir d’une gravure représentant une mutilation et que l’artiste réédite en multipliant les membres coupés, et remplaçant la tache qui masque la tête du bourreau sur l’oeuvre originale par un texte en sanscrit qui peut se conjuguer en neuf formes, dont certaines sont dites en duel (nous deux, vous deux, ils ou elles deux). Au fur et à mesure que des acquéreurs achètent les petites gravures de François Righi, ce sont les mots définissant les parties d’un corps humain qui se révèlent (en boustrophédon) reconstituant ce corps dans son intégrité. Il faut donc que chacun.e paie pour que cette reconstitution soit possible, que les songes ne soient plus, finalement, séparés. Et j’imagine qu’alors, l’oeuvre pourra devenir un nouveau livre édité par François Righi sous un titre différent.
Les trois oeuvres ci-dessus sont Sébastien B., d'Éric Fourmestraux, Torticolis, d'Horacio Cassinelli, et Ils coupent (7/9), de François Righi.
Que les autres artistes m’excusent. J’aurais bien voulu écrire pour chaque oeuvre vue dans cette belle exposition mais le temps m’a manqué et noter tout ce qui m’y intéressait n’était pas chose commode. Je me dois néanmoins de les citer : A. Stella, J.-Ph. Carré-Mattéi, María Chillón, Alain Clément, Jérôme Dussuchalle, Godwin Hoffmann, Christel Valentin, Wang Suo Yuan.