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(Note de lecture), Dorothée Volut, "Poèmes premiers", par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé

(Note de lecture), Dorothée Volut, Ces Poèmes premiers sont au nombre de 36. Ils tiennent sur une page ou un peu plus. Se présentent sous la forme de distiques, de tercets, de plus rares quatrains. Parfois les vers, d'une longueur très variable, se confondent avec une phrase isolée ; ils peuvent aussi se réduire à un ou deux mots. Pourquoi ces poèmes sont-ils qualifiés de " premiers " ? De quel avant, de quelle origine parlent-ils ? Quel âge ancestral évoquent-ils ?
Ils ne sont précédés d'aucun titre, sinon d'un nombre qui est aussi le moment d'une série interrogative et " métaphysique " qui se demande, depuis le présent d'une terre, d'un ancrage, d'un quotidien, d'un corps, en quoi consiste l'écrire, quelle est sa valeur, sa fréquence, les modalités de sa possibilité, de sa nécessité. Ces poèmes premiers ne sont pas les premiers poèmes, ni de premiers poèmes écrits par Dorothée Volut : ils s'imposent dans une temporalité qui est celle de la maturité, de la coïncidence à soi, d'une forme d'apaisement et d'accord avec la nature, avec le et les sens, dans la compagnie des autres vivants, arbres, animaux, humains, aux alentours des choses et des objets. Proximité des matières aussi, des esprits et de la mémoire, voire des émotions. La peur ainsi accompagne le vivre, mais n'accable ni n'immobilise le sujet : " Viens ma peur,/au toucher marcher/célébrant ".
Le livre s'ouvre sur une comparaison entre le vécu et le poème et leur poids, ou charge, ou teneur respectifs : " Parfois une journée à vivre vaut mieux qu'un poème./Écrire le soir après avoir rangé sa barque, suffit ". La virgule qui précède, isole, et place le verbe " suffire " à la toute fin du vers institue, d'emblée, une place au poème : il a effectivement trouvé sa juste apparition dans une vie qu'il ponctue sans l'envahir. Comment inscrire un poème dans le jour ? Quel espace, quel temps, quel geste lui réserver ? Vivre-écrire, c'est accepter d'agir, d'accomplir les gestes, tous les gestes, sans hiérarchie ni dédain, sans élection ni préférence. Humilité. Écrire-vivre, c'est laisser, aussi, l'écriture revenir à soi après un intervalle de silence, d'absence, de travail et d'occupations diverses. Laisser la forme saisir votre parole, laisser la célébration vous porter sans vous emporter. Vivre, c'est donc croiser et recroiser l'écriture, de même qu'écrire poursuit le vivre sans l'interrompre. Le premier poème de ces Poèmes premiers dit ainsi : " je me sens tricotée par deux grandes aiguilles/d'une laine enfantine ". On n'en a jamais fini avec la laine de l'enfance, produit miraculeux et animal, matière rêche ou douce, fil devenant pelote, pelote redevenant fil, lien et laisse, matière d'un vêtement, d'un jeu et d'un texte qui s'écrit avec ce qui pique, ce qui organise, ce qui rythme aussi le fil d'une vie : les aiguilles. On a connu des tricoteuses et Parques bien plus inquiétantes...
La simplicité de ces poèmes est tenue par une adresse têtue et entêtée qui sait qu'elle peut " inattraper ", rater, se trouver dépossédée. Leur force provient de cette ombre vers laquelle ils se tournent avec une confiance discrète mais cependant assurée. L'autre, le tu, c'est parfois un double déguisé et taiseux : " Ferme les yeux/entre le vent/dépose ta voix. ". Parfois un " seigneur ", un Dieu que l'on pourrait entendre comme une Muse masculine : " Je ne sais pas te contempler, seigneur/et j'ai de la peine pour ton cœur de nourrisson Avec ma main, je cueille les étoiles suspendues/comme des cerises d'or à ton arbre cosmique -/pleurer est mon cadeau de nuit/sous ton église ". C'est, aussi, un arbre protecteur et bienveillant qui autorise et protège l'écriture, cette " ortie " qui soigne en brûlant : " Toi l'arbre, tu me vois Je suis assise en face de toi,/prête à te dessiner,/sauf que mes traits s'assemblent en mots/et que tu me laisses écrire/comme tu laisses les orties pousser à tes pieds. " Le corps du poète reproduit ainsi les mouvements secrets de la nature, comme la rivière dessine le corps-paysage, comme deux pierres au sol désignent l'origine et la fin de toute existence, qu'elle soit minérale, végétale ou humaine. Et ce geste, qualifié d'" héréditaire ", est un don de l'enfance, la métamorphose d'un acte humain premier qui consista à dessiner, à graver, à tracer des figures sur des parois ou des grottes. Acte originel à l'échelle d'une vie, acte fondateur à l'échelle de l'histoire de l'humanité : " [...] être dans ces tracés transmis/d'âge en âge,/les lignes continuent/enjambent et ça me fait du bien ". Le poème apparaît finalement comme un événement quasi pré-histoire, au sens littéral du terme. Il se situe avant l'histoire comme puissance narrative, à la naissance de l'écriture, au moment en tout cas où le dessin bascule dans un signe qui n'est plus seulement figuratif mais aussi conteur. Il est auprès et au plus près de la nature, peut-être dans ce Verdon qui est désormais le lieu où vit Dorothée Volut et à partir duquel la joie tresse la pensée en reliant feux, rivières, arbres, pierres et neige, humains et animaux. Écrire, c'est-à-dire : se laisser toucher par le temps et tempo du vivre, œuvrer à l'harmonie du cosmos.
Anne Malaprade

Dorothée Volut, Poèmes premiers, Eric Pesty Editeur, 2018, 9€


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