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(Note de lecture), Giovanni Pascoli, "L’Impensé la poésie. Choix de poèmes (1890-1911)", traduction Jean-Charles Vegliante, par Christian Travaux

Par Florence Trocmé

Pascoli  l'impensé de la poésieTraduire n’est pas chose aisée. Faire passer dans une langue autre, non pas une langue, mais une culture, une vision du monde, une lueur, toute une attention au réel particulière, irremplaçable, est souvent source d’effondrements. De sacrifices. De pertes irrémissibles. D’autant plus si on a affaire à un poète comme Pascoli (1855-1912), fin métricien, fin syntaxier, subtil accordeur du langage à toutes les dimensions du monde, toutes les choses du quotidien, et toutes les épaisseurs de l’être.
Comment rendre, en effet, sensible à travers la langue conceptuelle, mathématique du français, ce qui, dans la langue italienne et la poésie de Pascoli, nous échappe et nous fuit toujours, et nous creuse, pourtant, nous traverse, germe en nous, et que l’on devine dans l’ombre, le jour des rideaux, le vent qui passe ? Un accord de l’être au réel, ou de tout notre corps au monde, au monde sensible, ce qui fait – de nous et de tout ce qui vit à l’entour de nous – une unité. Une obscure germination, ou une volonté celée, invisible, souvent refoulée, de se réaccorder au monde et à l’être de la nature.
La tâche est immense, impossible, sans doute, pour le traducteur, de tenter de rendre au plus juste, ce qui ne dépend pas de nous, de notre logique, nos idées, mais bien plutôt de nos affects, de notre sensibilité. Jean-Charles Vegliante, fin connaisseur de Pascoli – et qui depuis plus de trente ans, a essayé de faire connaître ce poète trop ignoré – offre enfin au lecteur français la possibilité de le lire depuis 1925. Et plus encore, l’occasion de le lire dans toute sa richesse. Non seulement sont rendus le flou, le trouble, l’incertain, l’indécis, propres au travail de Pascoli – avec l’écriture des bruits, des cris du monde, de toute la rumeur du réel, ou de l’au-delà du langage qui en fait la difficulté. Mais encore sont restituées l’extraordinaire maîtrise et toute l’habileté métrique de Pascoli à rénover vers, et strophes, et formes fixes.
Dire l’impensé ne peut se dire qu’en poésie. Mais – comme Bonnefoy l’a très souvent répété – qu’en jouant de la poésie, en se jouant de ses contraintes, ses non-dits, ses espaces vides. Conserver la métrique antique, le sonnet, la strophique sapphique, ou le vers. Mais en explorer les contours, les interstices. Les creuser de l’intérieur. Les faire sonner pour qu’y résonne cet entre-deux du langage et de notre être, tellement méconnu de nous. Cette ombre obscure. Ou tout l’alogique du langage et de l’être dans le langage même.
Et le traducteur réussit ce tour de force de faire entendre, dans la langue de réception, un peu de la langue d’origine, quelque chose de la résonance que les mots « pianto », germoglio », ou « sogno » ont en italien. Le parfum d’herbes d’un champ vide. Le bourdonnement d’une abeille ou d’une libellule. Le coassement des grenouilles. Ou le cri du petit duc. Et l’orage, le grommellement du tonnerre, la félicité, quand on la devine simplement s’enfuir au loin. Pour Proust, le nom de Guermantes a quelque chose d’orangé ou d’amarante. Et celui de Parme un parfum de violettes, ou de couleur mauve. Pour le traducteur, Pascoli – par l’éclat de sa traduction – a quelque chose en français de la terre d’Emilie-Romagne, du ciel d’Ombrie, et de la campagne toscane.
C’est donc le parcours d’une vie, en trois sections, 50 poèmes, introduction, conclusion. Mais aussi toute une esthétique qui restitue à ce poète les traits flottants de son image, son visage, son épaisseur, sa véritable dimension. Et son apport considérable à la poésie italienne à venir : Montale, Saba, Ungaretti, Pasolini, et même Amelia Rosselli. Car ce petit livre est un bible – au sens de bibliothèque – pascolienne, une lanterne magique où brillent, tour à tour, les facettes lumineuses du chantre italien. Mais aussi où s’entraperçoivent ses obscurités, ses lueurs indécises,  ses éclats d’ombres.

L’Impensé la poésie
est à contempler dans le noir et la solitude d’une chambre, allongé, quand tout fait silence. Et que scintille, seule et sans bruit, à travers la fenêtre ouverte, la lune claire.
Christian Travaux

Giovanni Pascoli, L’Impensé la poésie. Choix de poèmes (1890-1911), procuré, présenté et traduit par Jean-Charles Vegliante, éditions Mimésis, coll. « Littérature et critique », n° 3, 126 pages, 12€.


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