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« Entendre » la voix des esclaves du XVIIIe siècle : JEAN-PIERRE BAT

Publié le 18 juillet 2018 par Halleyjc

Page de garde du journal de bord de « L’Africain » tenu par Jean Gautier, premier pilote (1724-1726). Archives nationales

Les Archives nationales viennent de procéder à la numérisation de 169 journaux de bord de navires de la traite esclavagiste Atlantique du XVIIIe siècle. Ce corpus couvre la période de 1721 à 1757, et concerne pour l’essentiel les vaisseaux de la Compagnie des Indes.

Le journal de bord est tenu quotidiennement par le pilote ou le chargé des écritures et des comptes à bord, plus rarement par le capitaine. Il s’agit de consigner toutes les 24 h la position et la trajectoire du bateau, ainsi que les événements survenus dans la vie quotidienne à bord. Ces documents, d’apparence austère, sont donc de véritables boîtes noires pour la navigation au XVIIIesiècle. Tout y est consigné. Il en existe deux exemplaires : le premier, tenu à bord, et le second, recopié pour être remis à quai à l’armateur.

Le style des descriptions varie suivant les responsables de la tenue des journaux de borde. Mais, dans ces circonstances, ces documents s’avèrent souvent les principaux – et parfois les seules – sources d’histoire pour approcher la vie des Africains captifs, victimes de l’esclavage Atlantique.

Les expéditions partent traditionnellement de Lorient, siège opérationnel de la Compagnie des Indes (dissoute en 1769). Le Cap-Blanc, en Mauritanie, constitue la première escale de la Compagnie sur les côtes d’Afrique. La Compagnie opère principalement dans deux zones. La première est constituée par la Sénégambie avec les comptoirs de Gorée et du Sénégal, à l’image du vaisseau « L’Aigle » qui part de Lorient pour acheter des esclaves à Gorée, et les revendre à Saint-Domingue (Haïti), en 1736. La seconde est constituée par le golfe de Guinée avec le comptoir de Juda, plus connu sous le nom de Ouidah, au Bénin (Côte d’Or) : c’est la destination du vaisseau « L’Africain », qui fait voile vers l’Afrique en 1724 et atteint Juda en 1725. Le golfe de Guinée est l’épicentre de la concurrence entre les grandes compagnies européennes de la traite esclavagiste. Quelques rares journaux montrent des extensions de la traite de la Compagnie des Indes en Afrique lusophone, en Angola et au Mozambique. Une autre destination, moins connue, est mise en lumière : l’océan Indien. La Compagnie des Indes pratique le trafic d’esclaves à Madagascar (parfois au départ des Mascareignes) à destination de l’île Bourbon (Maurice) et de la Réunion.

Il faut alors détourner l’usage premier des journaux de bord pour chercher à y entendre les voix des esclaves. Car à une échelle plus fine, ces documents donnent à voir le commerce des êtres humains sous différents angles, parfois incomplets, toujours complémentaires d’une histoire plus générale de l’esclavage. Car les journaux de bord consignent tout, et donc également les conditions de cette traite humaine. En Sénégambie, on voit ainsi la chaîne du trafic, avec les transports des esclaves de la Gambie et de Guinée-Bissau jusqu’aux comptoirs de Gorée et du Sénégal. Dans l’océan Indien, la traite a pu être qualifiée de « volante » : elle porte sur des circuits moins réguliers et moins massifs que sur la façade Atlantique. A Madagascar, où la Compagnie des Indes ne dispose pas de comptoirs, le capitaine du navire et son second prennent en charge ce qui relève traditionnellement des agents du comptoir : nouer des contacts, négocier le prix de chaque esclave, trouver des termes d’échanges pour ce commerce d’êtres humains.

Les journaux de bord recèlent de détails sur ces moments et ces acteurs (trafiquants comme esclaves) : ces éléments consignés sont vus à travers les yeux des marins de la Compagnie des Indes ; il faut donc les déconstruire pour mieux approcher les sociétés africaines ou malgaches ainsi décrites. Mais il s’agit là d’une mine historique incontestable pour l’histoire des esclaves.

Pour consulter l’inventaire des Archives nationales, suivre le lien ci-dessous

https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.f…


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